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[Interview avec Ignacio Ramonet] « Fidel, biographie à deux voix »

[Interview avec Ignacio Ramonet] « Fidel, biographie à deux voix »

Résultat de plusieurs semaines d'intenses conversations entre Ignacio Ramonet et Fidel Castro, cette « biographie à deux voix » donne les clés de la révolution cubaine à travers le parcours personnel et politique du dernier « monstre sacré » de la politique internationale. A son tour Indymedia.be a interviewé Ignacio Ramonet.

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(photo ICS)

Vous avez publié un article en 2002 [article ‘Anticastrisme primaire’ dans Le Monde diplomatique] où vous accusez les médias d’être des perroquets qui répètent d’ autres médias quand il s’agit de Cuba. Est-ce que votre nouveau livre est une réaction à ce propos ?

« Oui, absolument. J’ai été l’objet d’un lynchage médiatique simplement parce que j’ai été à Cuba présenter un livre. On m’a accusé par une sorte de maccarthysme intellectuel. C'est-à-dire : j’étais coupable d’une complicité avec un régime accusé des pires horreurs par les médias, simplement parce que j’allais à Cuba. En particulier, les médias qui m’ont accusé se sont basés sur l’idée que je avais été là pour faire la critique du journalisme américain et laver le linge du journalisme cubain. C’est sur cette base qu’en quelque sorte a été fondé cette critique contre moi. On jugeait scandaleux que quelqu’un y soit allé faire la critique de la presse en particulier des Etats-Unis, alors qu’on connaît la situation de l’information à Cuba. Bon, j’y ai fait la présentation de mon livre dont les journalistes qui m’accusaient, n’avaient même pas pris la peine de lire de quoi il était question. Ce livre ‘Propagandes silencieuses’ [Éditions Galilée, 2000], ne parle pas du journalisme. J’ai déjà fait un livre sur le journalisme, ‘La tyrannie de la communication’ [Éditions Galilée, 1999], mais ‘Propagandes silencieuses’ est un livre sur les fictions, sur les mécanismes des influences des esprits par le biais de fictions. C’est-à-dire par les grandes fictions grand-publiques comme les films catastrophes ou les western italiens, ou encore les films publicitaires et les séries télévisés comme Colombo. En plus, il y avait dans ce livre une critique du cinéma cubain, parce qu’il y était question du film ‘Le fond de l’air est rouge’ d’un des plus grands documentalistes français, Chris Parker, qui l’a réalisé pour critiquer l’appui de Cuba à l’intervention des forces du pacte de Varsovie en août 1968 contre le Printemps de Prague. Les Cubains m’avaient demandé de traduire ce livre simplement parce que c’était l’année de la France au Salon du Livre de la Havane. Moi, je ne connaissait personne à l’Institut du Livre. Mon livre n’était d’ailleurs pas le seul qu’ils voulaient traduire en espagnol et éditer. Je leur ai dit : « Je ne veux pas être payé, je vous cède les droits à une condition : vous le publiez en entier ». Or, il y avait une critique sur Cuba et ils l’ont publié en entier. »

« J’ai donc pu constater que les journalistes ne prenaient pas la peine de vérifier. Dès qu’on n’avait pas une attitude hostile envers Cuba, on devenait ami, complice de Cuba. On faisait l’objet d’attaques typiquement maccarthystes. Sur cette base et en réponse j’ai donc décidé d’enquêter. J’ai constaté que nombre de médias critiquent Cuba férocement et sans aucune limite, sans jamais donner la parole aux défenseurs et en particulier aux accusés dont le principal est bien Fidel Castro. Pendant la préparation du livre j’ai par exemple recherché depuis quand les médias en France ont publié un texte, une déclaration de Fidel Castro ? Non, pas d’extraits de conférences de presse qui ne soient détournés contre lui. Pendant quinze ans, pas une seule fois Fidel Castro n’a eu la parole dans les grands médias français. Donc je considère en tant que journaliste que la couverture de Cuba est inégale et déséquilibrée. Le nombre d’articles critiques est démesurément important par rapport aux quelques articles qui donneraient un point de vue différent, à ce sujet même sans aller jusqu’à défendre le régime cubain. J’ai estimé que mon devoir de journaliste est justement de donner la parole à l’accusé. C’est ce que doivent faire les journalistes : donner la parole à ceux qui ne l’ont pas, sans cesse, pour qu’ils s’expliquent. »

La forme du livre est alors devenue naturellement une longue conversation, pas un petit livre?
« Et puis très vite le propre projet a connu sa logique : c’est devenu un projet effectivement biographique. Au départ je voulais demander que Castro s’explique sur les principales accusations contre lui. Parce que c’est quand même lui le principal accusé. Sur cette base là on est très vite parti sur l’itinéraire de la révolution cubaine et la biographie de Fidel Castro. Il reste néanmoins l’ensemble des critiques qui sont faites à son égard et auxquelles il répond. Avec ses réponses à lui. Celles que les historiens ne prennent bien entendu pas pour argent comptant. Mais, ce qui est certain, c’est qu’il faudra tenir compte de sa version à lui. »

Est-ce que le livre à été distribué entièrement à Cuba ?
« Quand le livre était presque terminé les cubains ont demandé si on pourrait le faire une éditer ? Alors avec mon éditeur Debate à Madrid, en a les droits pour le monde entier, on a décidé qu’on les cèderait uniquement à Cuba à une condition : que ce soit publié exactement sous la même forme. Puisque malgré tout Fidel est co-auteur. Et c’est exactement le même. »

Est-ce parce que vous avez donné la parole au principal défenseur de Cuba que vous êtes confronté avec un tel climat hostile en France ? Ici aussi on remarque un accueil froid. Qu’en en pensez-vous ?
« Effectivement je découvre qu’il y a un parti pris, une mauvaise foi permanente chez beaucoup de médias. Le livre à été largement boycotté, alors qu’il y a quand-même une grande actualité sur Cuba à cause de la maladie de Fidel Castro. Les grands médias français ne l’ont même pas signalé ! Certains l’ont attaqué, d’autres font une opération de boycottage par le silence. Ce qui montre bien qu’il n’y a pas une couverture journalistique équilibrée sur la question de Cuba et que les journalistes souvent se contentent du phénomène de répétition. Pourquoi ? C’est ce que j’ai essayé d’expliquer dans la préface : un phénomène du consensus qui s’est produit par rapport à Cuba. Ce consensus c’est que Cuba est la plus grande prison au monde, que c’est la violation systématique des droits de l’homme, que c’est la plus grande dictature au monde. Ces affirmations se sont répandues de telle façon que si un journaliste aujourd’hui veut dire que ce n’est pas exactement ça, il a beaucoup de mal et il lui faut beaucoup de temps pour s’expliquer. Cela fonctionne comme la censure finalement. La télévision par exemple, comme Chomsky l’a décrite, fonctionne sur ‘soyez bref et dites-moi tout’. Si à la télévision vous dites « Cuba est la plus grande dictature au monde », voilà, vous avez été bref et vous avez tout dit. Si vous dites « ce n’est pas du tout la plus grande dictature au monde » alors vous n’avez pas le temps de vous expliquer. Par exemple sur France Info où j’avais un entretien de 5 minutes, le journaliste m’a dit « à Cuba il y a quand-même 30.000 prisonniers politiques »! Il aurait pu dire 100.00 prisonniers politiques ou 500.000 prisonniers politiques. Tout le monde aurait accepté l’idée. Si vous lisez le rapport d’Amnesty International 2006, il y a 70 prisonniers politiques. La Commission des Libertés Démocratiques à Cuba qui est dans l’opposition, dit qu’il y en a 350 à peu près. Et moi je reproche dans le livre à Fidel qu’il y en a 323. Entre 70 et 350 on peut discuter, ça fait pas 500, pas 10.000, pas 30.000. »

« Il s’est établi une idée sur Cuba et certains ne veulent pas venir en arrière. Il y a tout un monde de propagande qui est stimulé autour d’une idée qui est fausse. Nous sommes par rapport à Cuba devant une opération gigantesque de désinformation, devant un grand mensonge concernant ce pays. Il y a des choses à critiquer sur Cuba, mais ce ne sont pas celles qu’ils nous sérinnent. Les journalistes doivent avoir le courage de relativiser tout ce qu’ils disent. »

Un aspect qu’on vous reproche quant à votre position en tant que journaliste, est la relation intime avec Fidel Castro qu’on ressent en vous lisant.
« Oui, mais je ne vois pas pourquoi il ne peut pas y avoir une relation intime. Le livre n’est pas conçu comme un entretien journalistique, il est conçu comme une conversation. Une conversation de longue durée. Certains ont dit qu’il y a une complaisance, mais je crois que toutes les questions qui fâchent sont abordées dans le livre, aussi celles auxquelles on ne pense pas toujours. Et Fidel Castro n’a à aucun moment dit, « je ne vais pas aborder ce thème » ou « cette question ne m’intéresse pas » ou « ne me posez pas cette question qui ne me convient pas ». Il n’a rien éliminé après, au contraire, il a ajouté beaucoup de choses. Dans l’introduction je dis qu’il avait éliminé deux phrases sur Saddam Houssein, mais moi-même je les mets dans l’introduction donc elles sont dans le livre. »

« Fidel Castro n’est pas un ami à moi. Il n’est pas plus ami à moi que je ne suis ami à vous et on n’en a pas moins un entretien maintenant On a voulu discréditer le travail en disant cela, mais c’est un projet intellectuel. Castro avait lu des livres à moi comme l’entretien que j’ai fait avec le subcommandant Marcos, (‘Propagandes silencieuses’) et il savait que j’étais parmi les créateurs du Forum Social Mondial, ce que l’ intéressait. Ce n’était donc pas une relation fondée sur un projet journalistique de court terme, mais de long terme. Et puis mon objectif était de lui laisser la parole parce qu’il parle jamais! Et enfin je dirais que quand on fait un entretien de durée longue, comme celui-ci qui a duré 3 ans, je ne le perçois pas comme un interrogatoire. Le journaliste n’est pas un policier et l’interviewé n’est pas un accusé, il doit y avoir une relation de respect. »

Vous vous êtes battu pour un journalisme de qualité et quand vous lisez une critique comme celle dans Le Monde où on dit que le livre est pathétique, est-ce que ça vous touche personnellement ?
« Non, parce que je connais le journaliste, je sais d’où il vient, je sais quel est son itinéraire politique, je sais que les renégats n’ont qu’une haine des idées qu’ils ont pu défendre à une autre époque. Ce que je trouve triste, pathétique si vous voulez, c’est que dans un grand journal comme Le Monde le journaliste n’a pas pris la peine de lire le livre. Il dit que je ne comporte aucune révélation au sujet de la raison pour laquelle le père de Fidel Castro ne l’aurait reconnu que si tard. Bon, je ne crois pas que ce soit une question fondamentale. Est-ce que vraiment toute la révolution cubaine repose sur cette affaire là ? En plus, s’il avait lu le livre il verrait que la réponse se trouve dans deux notes que j’ai ajoutées. »

Un thème intéressant abordé dans le livre est la peine de mort à Cuba. Fidel répond que c’est nécessaire pour se défendre contre la contre-révolution. Est-ce que ça suffit pour vous ?
« Non, ça ne suffit pas pour moi. Comme cela paraît dans le livre, je suis contre la peine de mort et j’ai toujours milité contre la peine de mort. Lorsqu’on a parlé de la peine de mort Castro m’a dit que philosophiquement il était plutôt favorable à la suppression de la peine de mort et que part ailleurs Cuba n’appliquait plus la peine de mort. Il y avait un moratoire depuis 2001. Mais en avril 2003 il y eu 3 exécutions, donc nous avons eu une nouvelle discussion. Le sens de ma question dans le livre est « comment se fait-il que Cuba soit avancé dans certains domaines mais n’a pas encore progressé dans la suppression de la peine de mort ». Castro répond qu’il espérait avancer vers la suppression. Depuis ces exécutions d’ avril 2003 il n’y a plus eu d’exécutions, il y a de nouveau un moratoire. »

Cette discussion sur les droits de l’homme prend une très grande part dans le livre. Est-ce que c’est votre plus grande critique envers le régime de Cuba ?
« C’est la plus grande critique que l’on fait. Le système de critiques envers Cuba est basé sur la question de la violation des droits de l’homme, c’est pourquoi il est longuement abordé dans le livre. On aborde l’ensemble des reproches : la répression contre les homosexuels, la discrimination raciale, l’affaire Ochoa, les dissidents, les émigrés, les exilés, … tous ces éléments se trouvent dans le livre. Mais on ne permet pas à Castro d’exposer ses arguments. »

Est-ce que ses arguments vous ont convaincus ?
« Certains d’entre eux sont indiscutablement des arguments solides. Par exemple sur les homosexuels c’est sérieux, c’est solide. Castro admet que la répression s’est produite en 1961, mais il remarque qu’aujourd’hui ce n’est plus un problème. Il n’y a plus de persécutions tandis que la critique continue d’en parler comme si c’était aujourd’hui, c’est faux. Ce qui est intéressant en revanche c’est qu’il reconnaît qu’il y a discrimination raciale à Cuba alors qu’il aurait pu dire qu’aucune loi ne discrimine à Cuba. De même que le fait qu’ en Belgique aucune loi n’autorise la discrimination n’empêche pas cette discrimination d’exister. Castro dit que la révolution ne met pas un terme à ces discriminations, qu’il ne faut pas croire qu’ une fois qu’on a fait la révolution on a tout réglé. Je trouve que ça fait parti de la lucidité politique et on voit bien que c’est un problème qui l’occupe parce qu’il en parle longuement et sérieusement. »

La répression des homosexuels n’était pas sous l’influence russe ? Est-ce que Castro dit quelque chose à ce sujet ?
« Non, parce que c’était avant la Grande Alliance Russe. Il explique comment ça c’est passé. C’étaient les UMAPs, avant la grande invasion quand on a procédé à la conscription. La répression a eu lieu pour les jeunes, pour les homosexuels en âge de service militaire. Mais si vous faites une enquête pour savoir où en était l’homophobie à la même époque - en 1961 - en Belgique, en France, aux Etats-Unis ? Le débat actuel à Cuba aujourd’hui, comme partout, est sur le mariage des homosexuels. »

Vous faites parti du mouvement altermondialiste, comment expliquez-vous que beaucoup de jeunes portent par exemple le T-shirt avec l’image du Che, mais sont en même temps assez critiques ou même indifférents envers Cuba ?
« Je pense que c’est dû à la campagne de désinformation qui existe sur Cuba. Les objectifs du livre sont justement d’essayer faire en sorte que beaucoup de jeunes comprennent qu’il n’y a pas de contradiction entre Ché Guevara et Fidel Castro. Qu’il n’y pas de contradiction entre Chavez ou le mouvement altermondialiste et Fidel Castro. Même quelqu’un comme Chavez et sa révolution bolivarienne ou ce qui se passe en Bolivie, ne seraient pensables sans la révolution cubaine. Il y a une continuité. »

Une citation de Fidel est « le socialisme n’a pas de modèle ». A-t-il dit ça parce qu’il était en face d’un altermondialiste ?
« Cette partie est très intéressante. Il y a des gens qui s’intéressent qu’au côté anecdotique du livre, mais cette partie plus théorique est très intéressante. Non, Castro dit finalement que personne ne sait ce qu’est le socialisme. Même Marx a été obligé de concevoir le socialisme sur la base du concept de capitalisme, parce que le socialisme n’existait pas. Et tous les socialismes, même si Castro ne le dit pas comme ça, se sont construits en bricolant. Lénine a bricolé dans les circonstances qui étaient les siennes. Rien n’avait été prévu pour que le socialisme se construise en Russie, le socialisme était conçu pour l’Angleterre, dans un grand pays industriel développé. Conséquence, le socialisme soviétique à servi de modèle mais il s’est construit dans des conditions très difficiles. Donc, dit-il, les gens pensent que nous avons une formule, mais la révolution ne s’exporte pas. Le socialisme ne s’exporte pas. Castro raconte l’anecdote du Forum Social à Sao Paolo. Toutes les gauches latino-américaines sont réunies dans ce forum. Il dit que pendant 3 jours on n’a pas pu travailler parce que à chaque fois que quelqu’un prononçait le mot socialisme, il y avait quelqu’un d’autre qui disait « non mais ça ce n’est pas le socialisme » ! Il a fallu qu’ils se réunissent pour dire qu’on ne prononcerait plus le mot socialisme si on voulait travailler. Qu’est-ce que ça veut dire? Ça traduit un des traits les plus caractéristiques de Fidel Castro, l’anti-dogmatisme. Le socialisme n’est pas catalysé dans un catéchisme. Il n’y a pas comme dans le catéchisme de l’Eglise, dix commandements du socialisme. Il faut toujours tenir compte de l’histoire du pays, des circonstances caractéristiques sociales et économiques du pays et des circonstances de la géopolitique internationale. La preuve c’est que les relations entre Cuba et le Venezuela, entre Castro et Chavez sont très fortes. Mais Chavez n’est pas en train de construire une révolution cubaine au Venezuela. Il fait du socialisme dans la démocratie, dans le pluripartisme, dans la liberté d’expression et de presse et dans l’économie du marché. Ce qui n’existe pas à Cuba. »

Cet anti-dogmatisme se montre aussi dans la manière dont Castro parle de l’Union Soviétique.
« Oui, il ne fait que des critiques à l’égard de l’Union Soviétique. Et des critiques très anciennes. Si vous vous rappelez de la conversation sur l’Union Soviétique, on y a parlé d’un gâchis écologique majeur. Au début Castro essaie de défendre le bilan mais petit à petit il en vient à dire que c’était une catastrophe. Mais la politique en prend aussi pour son grade : le fonctionnement du Brejnévisme du parti communiste, des congrès communistes où ils ne convoquaient que des communistes, parfois très conservateurs d’ailleurs. Il dit « Nous, depuis 50 ans, quand on fait des congrès on invite tout les progressistes qu’ils soient chrétiens, socialistes, social-démocrates, du moment qu’ils sont progressistes, ils sont des alliés ». »

La question que tout le monde se pose est naturellement, quoi après Castro ? Dans le livre il y a un chapitre là-dessus où il détourne un peu la question sur ce qui va concrètement se passer quand il ne sera plus là. Est-ce exact qu’il pense que la population continuera la révolution ?
« Je ne pense pas qu’il a une si grande confiance. Il donne une réponse en trois temps. D’abord, techniquement : quand je meurs on nomme Raul Castro, parce qu’il est vice-président. Quand Bush meurt, monsieur Cheney devient président, quand le roi meurt son fils devient roi. C’est ce que dit l’institution. Le vice-président est élu, ce n’est pas une succession familiale. Mais Castro dit lui même que Raul n’est pas la solution. Il y a le problème de la continuité de la révolution. Donc deuxièmement la révolution ne peut continuer que si elle est portée par d’autres que les fondateurs. Elle doit être portée par les nouvelles générations, la deuxième, la troisième, la quatrième génération. Troisième réponse, ce n’est pas évident parce que la révolution peut s’autodétruire si les gens se laissent aller à la corruption, à la course au privilège, à la création d’inégalités structurelles. Mais c’est possible, dit-il. Si nous avions adopté la solution gorbatsjovienne ici, on aurait vu réapparaître les maffias, explique Castro. Donc la révolution n’est pas gagnée une fois pour toutes, il faut combattre les tendances néfastes comme la corruption. Mais ce n’est pas à lui de le faire, c’est aux nouvelles générations de trouver des solutions à cette question. Il n’a donc pas une confiance aveugle, il est lucide. »

« On peut rappeler qu’il y a eu d’autres discours comme celui de Felipe Pérez Roque pendant la maladie. Devant l’Assemblée Générale il a redit ça : « Si nous, les dirigeants, ne donnons pas le bon exemple par une vie de sobriété, d’austérité, en vivant comme les gens, on ne sera plus respecté et la révolution sera perdue. »

Est-ce que vous avez encore des contactes avec Castro ?
« Non, maintenant que le livre est terminé, je n’ai plus de contactes. »

Pourtant vous aviez écrit que le livre a joué un rôle dans son état actuel.
« Oui, tout à fait. Parce que quand il a retravaillé ses réponses ça l’a épuisé. Parmi les raisons de sa maladie il y avait déjà la grande fatigue parce qu’il travaille beaucoup. Ajoutez qu’il est à la fois très obsessionnel et très perfectionniste. Il a déclaré qu’après l’opération il se mettrait à relire ses réponses parce qu’il ne savait pas de combien de temps il disposerait. Il a même assumé ce livre comme des mémoires qu’il n’a pas écrites. »

Vous avez rencontré un homme de 80 ans. Est-ce que vous avez vu un homme satisfait de sa trajectoire ?
« Satisfait, c’est beaucoup dit parce que c’est un intellectuel, donc toujours torturé, toujours compliqué. Globalement il pense qu’il n’a pas tellement de reproches à se faire. Je lui rappelle un nombre d’étapes contradictoires, mais il pense qu’il a essayé de faire pour le mieux. Tout en étant partielles, certaines choses ne sont pas des réussies, certaines auraient pu se faire plus tôt comme en matière de santé, de solidarité internationale. Mais son propre bilan de la révolution et de sa trace sont positifs, ça s’est sûr. »

Est-ce qu’il considère son travail comme achevé ?
« La question n’y figure pas et quand on considère son caractère, on peut imaginé qu’il n’est pas satisfait. Mais est-ce qu’on termine une révolution ? On termine une grève, mais une révolution est permanente. Et Fidel est partisan de la révolution permanente. Dans le sens que les générations changent, les temps changent, les gens changent, les environnements changent et donc le changement est permanent. N’oubliez pas que quand il a eu sont accident de santé il s’appuyait surtout sur la génération des 25 ans, les travailleurs sociaux. Un peu les gardes rouges de la révolution, sans le même caractère bien sûr, mais pour combattre la corruption essentiellement. »

Interviewer un tel personnage historique est-ce que c’est le rêve de chaque journaliste ?
« Oui, c’est l’ambition de beaucoup de journalistes. D’ailleurs je pense que beaucoup m’en veulent par jalousie. Et ils pensent qu’eux auraient fait mieux. Pour quelqu’un de ma génération la révolution cubaine est contemporaine, elle est arrivée au cours de notre vie et a donc beaucoup compté. Elle est contemporaine des grands mouvements de libération. Par conséquent vous n’avez pas d’autre interlocuteur vivant qui a autant été mêlé à la politique internationale. On n’a plus la possibilité d’interviewer Mao Zedong, Tito, Nasser ou Kennedy. Tous les grands acteurs de la scène internationale ne sont plus là, il ne reste plus que Castro. »