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Ses propres moyens - I

Ses propres moyens - I

Chers camarades, je vous propose une présentation en deux parties de l'essai "Ses propres moyens" du sociologue militant québécois André Thibault, un très bon moyen, à  la veille du Forum Social québécois-2006, de faire le point sur des sujets comme l'organisation du travail, les droits des minorités,la résolidarisation, la résurgence du totalitarisme, la judiciarisation du pouvoir politique, le droit, les lois,la police, les ex-Etats socialistes...Une approche critique de l'expérience, des sciences et des luttes concrètes.

Propos introductif :
Contribuer à  l'espace public des idées... Le pari de la liberté

En à  peine deux brèves interviews e-mail accordées très aimablement à  linked222 André Thibault dépeindra les grandes tendances politiques et socioculturelles du Québec. J'ai immédiatement pensé que c'était un très bon moyen pour mettre en valeur les inévitables faiblesses de la vieille société politique et les qualités de la jeunesse transnationale mobilisée pacifiquement sur tous les continents pour lutter contre les ravages du capitalisme.
Avec cet essai "Ses Propres Moyens "ce sont les habitudes culturelles des vieux Etats et les travers des hommes que j'ai vu s'effondrer, chaque page ayant le pouvoir d'ébranler les certitudes et les illusions les mieux échaffaudées.
André Thibault me dira : "ce n'est pas un livre politique ou chaud". Entendez ce n'est pas un livre d'actualité. Il sera donc "boudé" des médias et du grand public. Comme si cet ouvrage était condamné à  demeurer une somme critique coincée dans un espace-temps privé d'histoire sociale, de démocratie participative, de politique et de culture alternatives, noyé dans la propagande de psychosociologues payés par les partis et le business de la droite/gauche néolibérale québécoise, canadienne, américaine ou européenne.

C'est un fait que les éditeurs de gauche un peu paumés cherchent désespérement leur Zola, leur Jaurès, leur Hugo, leur Lénine, leur Trotsky, leur Rosa Luxembourg, leur Aragon, leur Mao, leur Ché, leur Marx dans la société des gens de lettres ou dans la société des ONG nobélisables (certains députés socialistes diront dans l'ombre de la Banque Européenne : "on a le dernier Attali, c'est déjà  çà  !").
C'est également un fait que la nuée solidaire des collectifs sociaux et des opprimés : ouvriers, syndicalistes, chômeurs, étudiants, femmes au foyer, prisonniers, paysans, artistes, chercheurs sans argent, intellectuels activistes, accusateurs, salariés puisent force, indépendance, incorruptibilité d'une lutte sans merci contre l'épuisement, la faim, la maladie dans l'ombre du mur de la honte.
Je crois André Thibault sédimenté par la vie critique autant que par l'histoire de la souffrance propre à  chacun des mouvements alternatifs du temp présent. L'auteur n'est donc pas cataloguable. Il vit là  où la vie sociale est.

Nota Bene, société éditrice de Ses Propres Moyens, est une maison d'édition connue bien au delà  du seul Québec / Canada. Les travaux les plus récents, par exemple, de Jean François Thuot sur la fin de la représentation et les formes contemporaines de la démocratie et de François Ouellet sur l'identité sociohistorique et littéraire au Québec sont connus de l'Europe.
Je ne crois donc pas qu'il soit impossible "d'un média l'autre" - pour en terminer avec "cet essai n'est pas un livre chaud ou politique" - finalement "d'un château l'autre" (et l'on sait la volonté de l'introduction de contrer tout type de totalitarisme) de soutenir le destin populaire de cet essai résolument anticollaborationiste.

"Nous ne pouvons plus fuir la gravité tragique de la liberté, écrira effectivement André Thibault afin de sensibiliser l'opinion sur les dangers de l'abandon de la conscience politique, ni nous excuser des conséquences de notre agir sur le dos de l'obéissance inconditionnelle à  une Autorité transcendante. Les dangers de l'exploration sont-ils pires que la mort lente dans les chaînes de la fatalité ?
"Wagner ne fut pas foudroyé par la colère céleste pour avoir mis en scène la révolte menée contre l'arbitraire des règles présumées divines, au nom de la loyauté envers soi-même. Aucun mollah ne mit sa tête à  prix. Je ne sais si quelque divinité fut ou non lésée par ses fabulations impertinentes, mais il est clair que les humains, eux, étaient en train de franchir un pas substantiel dans la prise de responsabilité de leurs décisions et de leurs actes. La morale s'éloignait un peu plus de son musée de codes sacralisés et de préceptes mécaniques, pour tendre à  se loger au coeur de la conscience des acteurs sociaux.
"Mais nous ne sommes pas des Walkyries ! Plus faibles, moins informés, moins lucides, plus insécures et pusillanimes, encore imbibés de conditionnements culturels qui nous envahissent de fantasmes de culpabilités et de châtiments dès que le coeur et la pensée nous entraînent vers d'autres conduites que celles que nous avons apprises, nous nous aventurons sur les voies de l'émancipation à  travers mille tâtonnements et tremblements.
"le Québec n'est pas plus que d'autres à  l'abri des glissements vers la sècheresse technocratique, le totalitarisme ou la violence. Hitler n'est pas un accident, non plus que le nettoyage ethnique au Rwanda, le massacre des Armeniens par les Turcs... ni le rejet par l'Immigration canadienne d'autres Turcs qui, eux, n'avaient jamais massacré personne...".

Chapitre I
Culture et vie intellectuelle :

Dans ce chapitre, très dense, André Thibault nous proposera une critique de l'expérience, de l'évolution scientifique mue par la soif d'absolu, théories, récherches, soif de maîtrise, de développement et par déviance soif de domination, et une critique des luttes concrètes individuelles, familiales et sociales souvent frappées d'illégitimité par les sciences. Un rigoureux travail de propositions qui imposera à  la réflexion un pas lent et mesuré.
L'une des clefs de cet ouvrage résidera probablement en ce court paragraphe intitulé "La répugnance à  l'exclusion".
Je crois que l'auteur, en effet, construira une part de son propos sur la problématique de l'exclusion sur la base de la connaissance inégalitaire. A maintes reprises il nous rappellera son opposition essentielle à  l'odieuse définition de la valeur sociale d'une personne par une poignée d'experts, les professeurs, le corps enseignant, toute personne dotée en fait du pouvoir de juger de la valeur d'un autre dans un contexte normatif ...
La trame du problème, pour beaucoup tragique, prendra naissance dès les premiers rapports inégalitaires à  l'école ou à  l'enseignement, à  l'université, à  la formation professionnelle. Elle se prolongera dans le corps même de la manifestation théatrale de la culture, de la représentation, de l'existence, dans tous les aspects de la vie domestique, individuelle ou familiale.

Dans un tel "contexte d'inégalité (...), écrira André Thibault, le pouvoir que détient le corps enseignant de décréter une évalutaion de travail accompli par les étudiants vient remuer des fragilités profondes. Il fait remonter (...) un malaise latent, plus ou moins explicite selon les périodes, face à  toute imposition extérieure unilatérale d'une définition officielle de la valeur sociale de quelqu'un. Les réticences que peut provoquer l'acte d'évaluer rejoignent la lutte ouvrière qui oppose la barrière de l'ancienneté aux tests, examens et appréciations qui classifieraient les employés dans des termes qui leur sont étrangers. Le malaise que peut susciter l'évaluation par les professeurs fait remonter en surface les mécanismes par lesquels la société contemporaine dépossède ses membres du choix de leur identité et de leurs modes de relations sociales..."
Là  où il devrait y avoir ouverture et changement puisque l'on parle d'éducation et de pédagogie, il y a fermeture, répétition des erreurs et construction d'une vie sur des bases bien évidemment erronées, une vie sans compassion où l'affectivité, l'émotion, l'amour ne sont plus que des données qu'il convient d'éradiquer du processus scientifique d'"élévation"; il faut répondre aux besoins rationnels de la production. Une école laïque commune, gratuite, démocratique, égalitaire, respectueuse des droits de chacun ?

André Thibault, bien conscient que l'école et la formation académique ou professionnelle évoluent au milieu d'un supermarché qui doit fonctionner coût que coûte, n'y croit guère et en bon avertisseur d'incendie nous met en garde. L'école mais aussi l'université, le travail, les conditions de travail sont déshumanisés et la culture humaniste a bien du mal à  se frayer un passage dans un univers asceptisé par des sciences cannibales faites pour le développement des marchés en appui sur la destructuration sociale (1).

"Je ne crie pas à  la déshumanisation automatique découlant du progrès de la science, écrit André Thibault. Je dis que cette déshumanisation risque de ce produire si l'engouement pour la science et la technique sert à  justifier un déséquilibre des ressources, voire un dénigrement des autres volets de la culture humaine, si la science réussit à  nous faire croire qu'elle englobe toute la connaissance (...) Si pour faire place à  la science, on réduit les ressources allouées à  l'humanisme, à  l'éthique, à  l'art, à  la pensée, alors vont correspondre à  une tâche plus lourde des outils appauvris, et le progrès de la science aura entraîné en fait une diminution de la qualité de la vie (...) L'apport de la science se limite à  rendre le monde plus efficace. Quoiqu'elle prétende, elle est tout à  fait inapte à  nous procurer un monde meilleur."

Attention aux nouvelles percées de l'eugénisme!...

L'accès inégalitaire à  la connaissance scientifique présentée comme une déesse omnipotente, omnisciente, omniprésente contribuera à  mettre en place avant toute naissance une structure humaine de domination que le marché rendra fonctionnelle, autoritaire, dirigiste et impitoyable envers les "ignorants", les plus démunis et les exclus du mode de production capitaliste. André Thibault s'appuiera pour combattre ce fléau sur Habermas, Ellul, Charbonneau, Castoriadis. Le mensonge du XXIème siècle consistera à  faire croire que la science au service de la production est apte à  procurer un monde meilleur "alors que le savoir scientifique, selon Habermas, est inadéquat pour traiter les questions de finalités", "alors que les connaissances, dira Castoriadis, nous laissent l'entière responsabilité de la détermination du sens." André Thibault y reviendra de mille façons.

Cette critique appuyée de la domination scientifique me fera penser aux programmes de "think tanks" américains ultra conservateurs tels que le Manhattan Institute (New-York) ou l'American Enterprise Institute (Washington) qui attribuent les origines des inégalités sociales et raciales aux "QI" les plus faibles des foyers/pays aux plus faibles revenus. Des analyses orientées, imposées sur le marché de la sociopsychologie politique dans le but de pénaliser la misère et la criminalité par les mécènes Warburg Dillon Read, Credit Suisse First Boston, Goldman sachs & Co, Morgan Stanley & Co. pour le Manhattan Institute et par Enron, Dow Chemical, CSX, American Express pour l'American Enterprise Institute. (2)

Il n'est donc pas étonnant qu'André Thibault, sociologue militant et opposant aux idéologies totalitaires que véhicule notamment l'eugénisme scientifique au Québec (voir la récente Affaire Mailloux sur la prétendue infériorité innée des noirs et des amérindiens) poursuive sa quête de sens sociopolitique, de transparence interculturelle pour l'indépendance (du Québec) par la défense de l'imaginaire québécois, de sa langue française (minoritaire au Canada) et des langues autochtones; imaginaire, langues françaises et autochtones que les médias pro-américains néolibéraux mettront en péril par une surproduction de produits culturels commerciaux standardisés (show populistes, compétitions sportives) au service d'une idéologie politique de plus en plus autoritaire. Certains parleront avec juste raison de "régime de la pensée unique".
L'on se souviendra, il n'y pas si longtemps, du "Triomphe de la volonté" (film du congrès de Nuremberg de 1934) et des "Dieux du stade" (film des jeux olympiques de Berlin de 1936) de Leni Riefensthal...

André Thibault s'en explique : "(...) Les produits culturels commerciaux appaisent sur le moment les désirs et les manques, et bien sûr, la demande d'apaisement momentané est forte et on la ressent tous à  un moment ou à  un autre. Les oeuvres de création au contraire véhiculent volontiers des pensées inconfortables qui nous confrontent aux exigences de la croissance et de la survie dans un monde difficile. Le show anesthésie les états d'âmes bouleversants en les canalisant dans des représentations imaginaires tellement étrangères aux conditions de nos propres combats que nos pulsions en sont stérilisées. L'imaginaire mis en oeuvre par le show commercial n'est pas moteur, mais se réduit à  une fascination de l'irréel entraînant les énergies dans un ailleurs inconsistant, lieu d'entropie psychique accélérée.
"L'essai ou la fiction qui nous place au contraire devant la problématique de nos vraies luttes pour l'actualisation et la dignité, pour la coexistence des différences et l'accès à  une conscience lucide, contre l'abêtissement ou l'exploitation et le mépris, a autant de ressemblance avec la violence sportive ou cinématographique que la détente volontaire avec le vallium. La violence sportive vient réveiller chez l'être humain toutes les vexations accumulées au long de son existence, la révolte impuissante contre les abus découlant habituellement de l'inégalité dans les rapports de force, le fantasme de s'en sortir par des victoires symboliques. L'art demande des formes d'adhésion étrangères aux logiques dominantes..."

"L'ivresse du contrôle exercé sur autrui" (si intense dans le processus de domination des populations juives, tziganes, des groupes communistes, homosexuels, dissidents sous le IIIème Reich) sera le privilège somme toute des institutions dont la fonction sociale est de gérer "ce qui est" comme celui des poids lourds de l'économie coiffant ces institutions. La boucle est bouclée. Un décors médiatique nouveau est planté dans un espace de libre-échange transnational incluant les nouvelles technologies de la communication en accord avec les nouvelles techniques de capitalisation financière. Le pouvoir médiatique est accru mais pas la disponibilité à  apprendre. Ce pouvoir, ennemi de la création d'imaginaire, de l'égalitarisme et finalement du jeu politique et démocratique, prendra la place du pouvoir central normalisateur.

Certes "le développement de l'imaginaire, écrira André Thibault, se heurtera de tout temps à  une censure sociale avec menace de sanction. Dans le Québec traditionnel, les gardiens de la conformité s'arrogeaient la prérogative de désigner comme "chaviré" ou "détraqué" celui qui imaginait en dehors des sentiers balisés. Plusieurs citoyens, considérant pathologique l'acceptation de la solitude et bizarre le goût d'explorer l'inconnu, obsédés de sécurité, ont toujours été prêts à  réduire leurs singularités personnelles, à  sacrifier les expériences imprévues, à  se laisser standardiser, pour se protéger de l'angoisse...".

Des notes élevées pour la norme

Lors d'expériences d'autoévaluation André Thibault notera que dans les années 1975 ses étudiants amenés à  justifier leurs notes dévoileront que plus les critères utilisés étaient conformes aux normes classiques de l'école et de l'entreprise, plus ils se donnaient des notes élevées; quand leurs objectifs personnels étaient plus novateurs ou exceptionnels, ils se notaient au contraire à  la baisse.
Une remarque importante - pour ceux et celles qui douteraient - à  placer dans le prolongement de la réflexion sur le pouvoir normalisateur... Une part de la population (les politiques, les scientistes, les banquiers et les sondeurs les premiers) persiste à  croire que les innovations tecnhiques dans le domaine des médias sont à  même d'ébranler la résistance à  l'innovation culturelle.
"Au contraire, affirmera André Thibault, elles menacent de la renforcer. Les créateurs sont refoulés dans une participation très secondaire à  la production médiatique par de nouvelles barrières économiques, politiques et sociales (...) La création présente toujours un danger réel ! (...) L'usage effectif de la liberté d'expression chez nous (Québec) est loin de manifester de plus en plus d'originalité et de diversité. Pourtant nous échappons à  la censure de type policier..."

Notes et repères d'actualité

1- Voir également sur le sujet "Les nouveaux maîtres de l'école" de Nico Hirtt, et Appel Pour une Ecole Démoratique -APED

2- Je citerai ce "livre évènement" monstrueux : "The Bell Curve : Intelligence and Class Structure in American Life" (NY, Free Press,1994), production théorique scandaleuse du "sociologue collaborationniste" Charles Murray et du psychologue Richard Herrnstein. Ces deux auteurs imposeront bien au monde politique (jusque dans l'entourage de G.W.Bush), au monde scientifique nanotechno-eugéniste et à  quelques laboratoires/chercheurs en sciences sociales des universités anglo-américaines ce type de prospections discriminantes.

Chapitre II
Une société des différences :

"Nous nous persécutons quand nous nous imposons une identité restreinte et étouffante... écrit André Thibault (...) Une bonne partie de nos impuissances et de nos blocages prend racine dans les interdits irrationnels par lesquels nous traitons notre propre psyché (...) Ceux qui parmi les membres d'une communauté qui définissent leur propre culture de la façon la plus rigide et étroite démontrent aussi la plus grande intolérance et la plus grande agressivité envers les attitudes et les modes de vie des groupes étrangers (...) en tranformant ainsi une identité collective en camisole de force à  jamais immuable, c'est sa propre communauté que l'on condamne à  une dépérissement accéléré."
Des propos sur "notre propre diversité" pour le moins prophétiques, à  tout le moins si l'on s'interroge sur le sens et l'avenir de la société multiethnique, urbaine, contradictoire, parfois dramatique, où le jeu de la participation communautaire aux décisions collectives n'est pas assuré d'emblé.

Taxation without representation

"Au plan des rapports d'ordre politique le problème se pose moins en termes de représentativité statistique (quotas et action positive), écrit fort justement André Thibault, que de représentation à  des tables où peuvent se traiter les inévitables difficultés à  résoudre quand la différence devient un enjeu omniprésent. Dans les divers dossiers où se joue quotidiennement la dynamique des rapports interculturels, on est encore fort loin de toute perspective de "prise en charge conjointe des parties".
C'est un fait que les "partenaires sociaux" ne bénéficient pas au départ d'une naturelle communauté d'intérêts inscrite dans les astres ou dans les gènes. (...) Le statut politique des minorités - nous évoquons, ici, le cas très complexe du Québec mais le propos peut inspirer de nombreux négociateurs dans les communautés extérieures - ressemble fort à  un nouveau cas de "taxation without representation". La société compte sur leur contribution dans la prise en charge de tous ses objectifs importants. Mais en de nombreuses matières, aucun de nos principes de délégation de pouvoirs n'assure une représentation adéquate à  leurs points de vue spécifiques.
"Le Conseil des relations interculturelles, par exemple, qui réunit des Québécois d'origine et des néo-Québécois et qui dispose d'un poids consultatif appréciable auprès du ministère parrain, joue un rôle utile, mais son mandat ne peut couvrir tous les problèmes. D'innombrables décisions et orientations communes doivent être prises, et elles ne peuvent pas se limiter aux champs de juridiction d'un ministère spécialisé (politique d'immigration, mécanismes d'adaptation initiale, information du public sur la culture des ethnies minoritaires)..."

Une approche humaniste

J'ai le sentiment que le problème traité ici est, une fois de plus, mieux abordé par le militant que par les fonctionnaires et les élus européens ou encore américains "spécialistes" des minorités communautaires africaines, roumaines, indiennes, russes, chinoises, vietnamiennes, mexicaines ou japonaises.
La plupart de mes amis appartenant à  l'une de ces communautés - quasiment sans droits et sans argent - vivent dans un contexte de négociations inexistant, ne peuvent sortir de la clandestinité ou y replongent dès que l'occasion le permet, hommes, femmes, enfants. Allez savoir pourquoi ?... Le rapport que dresse l'auteur invite nos "seigneurs" mandatés par la technostructure, sous ou suremployée, à  plus de souplesse, de réflexions, à  moins de radicalisme dans les habitudes.Sans doute que l'approche des droits civils, administratifs ou sociaux se doit d'être humaniste en sa base et non scientiste, légaliste ou statistique.
L'auteur parviendra du reste à  une question très interessante : "Comment respectera-t-on ce que l'altérité présente de déroutant si on refuse d'explorer la diversité de son propre univers, et qu'on se réduit soi-même à  une mince facette du kaleidoscope de ses possibilités ?"
Une base de principe pour la bureaucratie mondialisée et un jour privatisée ? Un fonctionnaire du ministère français de l'intérieur que j'interviewais tout récemment sur les droits d'immigrants qui après vingt années de vie communautaire s'en retournaient chez eux pour revenir peut être plus tard, dira très clairement : "ces malheureuses personnes n'auront plus aucun droit chez nous. Pas la peine de parler d'intégration et d'avantages administratifs, civils ou fiscaux rétroactifs. Elles devront recommencer à  zéro sans aucun avantage. Monsieur Sarkozy n'a pas de coeur, n'allez pas chercher l'amour où il n'y a que calculs électoraux. Si monsieur Bové veut déplacer ses brigades de faucheurs anti-OGM sur le ministère de l'Intérieur il y trouvera des CGM, des coeurs génétiquement modifiés..."

Repenser l'action politique

Dans cet autre essai "Repenser l'action politique de gauche" (Ecosociété), le philosophe franco-canadien Pierre Mouterde parlera d'un projet de communauté démocratique alternative et invitera les militants à  repenser l'action politique par la conscientisation de nos liens au passé, à  l'histoire des vaincus des grands conflits sociaux, des guerres, des militants, des sans droits, des non comptés et par une politique éthique de l'affirmation de soi libérée de tout moralisme
André Thibault, dans notre interview "La gauche alternative québécoise à  l'heure de l'altermondialisme" entreprendra un processus de conscientisation politique analogue en mettant l'accent, toutefois, sur la citoyenneté/démocratie participative, la resolidarisation et la resocialisation par un investissement des champs politiques municipal et régional, des outils selon lui indispensables (comme le débat et la négociation) et nous le croyons bien volontiers, à  l'action altermondialiste transnationale. (1)
Pierre Mouterde et André Thibault insisteront chacun en appui sur un véhicule propre sur le rôle de la filiation à  nos racines historiques, culturelles, linguistiques ou sociopolitiques.

Le trésor de la citoyenneté participative

Je crois que l'ensemble des théories, des animateurs, des mouvements citoyens québécois et néo-québécois qu'André Thibault connaît depuis de longues années - en fait, il en parle volontiers en terme générationnel avec le ton de l'historien des mouvements solidaires - propose un outillage alternatif exemplaire pour les peuples du Canada et du Québec mais aussi et pourquoi pas, pour les citoyens européens, américains ou même latino-américains.
Il établira, du reste, après une étude de la création d'imaginaire (types humains, structures dramatiques) que les thèmes universels n'existent nulle part à  l'état pur et qu'ils ne peuvent prendre vie qu'à  travers leurs variations, multiples et visibles d'une culture à  l'autre, un peuple se définissant finalement moins par un bagage culturel, une identité objective que par une histoire, une succession de problèmes, de débats et de projets.
Cette diversité complexe, sociopolitique ou culturelle, qui relève sans aucun doute des activités infinies d'une multitude d'acteurs : étudiants, chômeurs, enseignants, chercheurs, syndicalistes, poètes, peintres, comédiens de théatre, mères au foyer - en temps de paix comme en temps de guerre, chanteurs folkloriques, professionnels divers et d'une profonde réflexion sur la question de la transmission vivante des connaissances ou du savoir (André Thibault insistera sur l'importance de ce moyen dans le cadre de l'université) est éblouissante.
La citoyenneté participative serait un trésor que tout homme ou que toute femme devrait chercher pour mieux vivre ou achever son plein épanouissement dans la complexité des créations et des variations sociales.

Les souffrances des minorités

André Thibault proposera, également, que l'on appréhende les aspirations et les souffrances des minorités à  travers les "contenus culturels universels" devenus des "éléments du bagage qui permet de communiquer avec le reste du monde, de participer à  la vie de l'époque."
Message également aux minorités qui rejetteraient tout dialogue social, éventuellement tout lien à  la modernité mais également aux prétendus décideurs des nations les plus riches qui souhaiteraient placer le monde en coupe réglée ou le maintenir en situation de dépendance.
Remettons les choses en place "il serait une erreur, écrira André Thibault, de définir la culture commune moderne comme une spécifité occidentale.
"L'outillage mental de qui que ce soit ne provient plus seulement d'une culture populaire au sens "générée par le peuple et transmise par tradition orale" mais aussi de synthèses locales nourries des apports de toutes les cultures particulières".
Le débat contemporain en est là  et bien là , parfois il est dramatique. Les associations écologistes, les anthropologues traditionalistes, les groupes ethniques ultraconservateurs se réservent le droit, et on le comprendra, de ne pas s'engager au delà  d'un "certain seuil" dans le débat avec le modernisme. L'on se battra, j'en connais de très intransigeants à  l'Est comme à  l'Ouest, si l'on essaie d'assimiler la "réalité du confort mécanique" à  celle de "l'outillage mental pour l'intégration" dont parlera André Thibault. Cela dit, et sans simplifier, l'auteur prendra le parti de la modernité sociale et de la technologie.

Aller plus loin

"Même dans les régions les plus lointaines, écrit André Thibault, les Amérindiens possèdent des véhicules moteurs et appareils électroniques; s'ils n'avaient pas accès aux connaissances scientifiques qui permettent d'en comprendre le fonctionnement, le modernisme les enfermerait dans un étau de dépendance asservissante. En maîtrisant par l'instruction la compréhension de ces commodités, les Amérindiens doivent ensuite décider comment ils s'en serviront. Les connaissances et les habilités nécessaires à  la modernisation tant technique que sociale ne sont intrinsèquement "blanches", elles appartiennent à  tout le monde, sont transmises par des véhicules culturels inhérents à  l'humanité contemporaine."
L'auteur pousse la balle plus loin : "La question d'un choix entre l'identité distincte et la modernisation n'a pas de sens : ce ne sont pas deux termes de même nature. L'identité distincte s'oppose à  l'assimilation, et la modernisation au conservatisme. Au diable les dilemmes absurdes ! Le jeune Amérindien réclame les ressources nécessaires pour produire sa propre synthèse entre le maintien maximal de son identité et l'insertion dans le monde contemporain".
Ultime recours d'un moderne ? Je ne crois pas. Spécialiste de la formation professionnelle, de la marge, des exclus et de la solidarité André Thibault sait le parcours du combattant que doit s'infliger le minoritaire. Toute "tentative d'assimilation mimétique à  la société dominante comporte de très grands risques d'échecs, écrira-t-il... Le minoritaire qui tente de s'assimiler s'efforce de mutiler sa mémoire, de désapprendre un ensemble d'habiletés qui ont constitué l'essentiel de sa socialisation, de minimiser l'importance du réseau de support et des catégories de pensée qui lui ont jusqu'alors servi de points de repère - tout cela pour tenter d'acquérir à  l'âge adulte, de façon volontariste, les manières de vivre et de penser d'une autre communauté !" Maitrise pédagogique alternative et discours social militant seront ici harmonieusement liés...

Note et repère d'actualité

"La gauche alternative québécoise à  l'heure de l'altermondialisme", intervieuw d'André Thibault, Q.6, 23/07/2005

Chapitre III
L'économie et le travail

Dans ce chapitre il ne sera pas question d'imaginer le fait de travailler, de vendre ou d'acheter comme relevant d'un processus strictement économique, isolé finalement de ses causes, de sa germination et de l'ensemble de ses variations d'avec les activités générales interactives. Le souci de notre auteur consiste bien à  forger des outils de conscience pour négocier avec le complexe, les partenaires sociaux, la vie, la culture, la vie intellectuelle, les sciences et, dans ce chapitre, avec le travail et les relations humaines dans le contexte d'une expérience critique.

Travailler, acheter, vendre relève du social

Bien que pièces maîtresses sur l'échiquier, la complexité interne (régionale) et externe (mondiale) des marchés, la concentration des intérêts collectifs et individuels (impliquant également les faillites, le chômage, l'exclusion et l'endettement), la transmutation du capitalisme industriel en capitalisme financier nous montrent que bien souvent les causes réelles de ces manifestations passent quasiment inaperçues.
Si André Thibault, donc, insiste sur ce point du social : "travailler, acheter, vendre", c'est qu'à  mon sens il appréhende le processus sournois du développement des inégalités et des injustices sur la base (non exclusive toutefois) des fractures potentielles et réalistes de la structure sociale. Fractures dont les conséquences se liront jusque dans les dérèglements des systèmes de production et de distribution mais également dans les constructions des organisations internationales (OMC, FMI, Banque Mondiale) vivant du commerce ou de la libre exploitation de ces faiblesses structurelles.

Une telle approche nous permettra de voir dans le jeu de l'adversaire : l'Etat, les institutions, le capital, la spéculation, la crise, le licenciement abusif, la faillite, "la réussite sociale ?", les hiérarchies, la bureaucratie, les ambitions personnelles, le confort immuable (?) ou vendu comme tel par les marchands de sensations, l'opacité mentale de vos voisins de bureau, le rejet de la communication, le rejet des sciences sociales dans l'entreprise, l'autisme ambiguë des patrons (guère différent de celui des juges ou des ministres), ce fameux "somnanbulisme des découvreurs" dont parlera si bien, hier, Arthur Koestler.

"Une part majeure des phénomènes sociaux, écrira André Thibault, échappe aux déterminismes économiques et technologiques tout autant qu'à  la force contraignante de l'Etat." Et plus loin, au sous chapitre "les entreprises ont-elles une âme?" : "Les conduites et stratégies des humains au travail ne se comprennent vraiment qu'à  la lumière de dynamiques sociales internes et externes. Si on se contente d'une définition technique ou administrative des choses (sinon économique), une part capitale des actions des membres d'une organisation demeure incompréhensible. Ces préoccupations n'émeuvent guère la gauche contemporaine. Nous nous y retrouvons très majoritairement entre employés des secteurs publics et parapublics ou travailleurs autonomes.Intellectuels et militants, le portrait que nous entretenons des milieux de travail industriels et commerciaux n'en retient que le côté dur et aliénant - André Thibault dirigera jusqu'en 1978 et pendant plus de dix ans un service de recherches sociales rattaché à  la direction générale du personnel d'Hydro-Québec.
"Nous avons beau tenir les entreprises, surtout les grandes, en dehors de nos schémas de réforme de l'économie, elles sont là  pour rester et il faut tôt ou tard s'interroger sur leur potentiel d'humanisation. La tâche de changer des choses n'est pas un idéal abstrait proposé à  une humanité abstraite, mais un projet à  mettre en oeuvre dans des organisations bien réelles, avec leurs défauts et leurs lacunes, leurs systèmes décisionnels trop centralisés, leurs autorités trop puissantes, sans attendre que se soient convertis à  la démocratie industrielle tous les conseils d'administration ni que tous les assoiffés de statut se soient tournés vers la simplicité fransiscaine."

Se battre contre le système d'inégalité structurelle

"La course à  la clientèle, dira André Thibault, répand dans la société une ambiance d'agressivité, de méfiance, de domination qui rend la vie moin conviviale. De manipulation aussi. Plusieurs patrons vantent beaucoup l'employé auquel ils veulent extorquer un rendement maximal, la camelote qu'ils désirent promouvoir en supplantant leurs compétiteurs, le client ou le fournisseur à  amadouer pour en tirer une transaction "plus égale" d'un côté que de l'autre.... Il est opportun de se battre avec la plus grande vigueur contre le système d'inégalité structurelle qui sévit à  la grandeur de l'humanité et qui prétend le faire au nom de l'économie de marché, en la définissant comme le pilier de toute liberté humaine. Ce discours est d'ailleurs pétri de sophisme, puisque le marché à  lui seul, soustrait à  toute régulation collective, aboutit à  consolider de gigantesques écarts entre les moyens de transaction des uns et des autres, de telle sorte que la liberté économique réelle du plus grand nombre s'en trouve annulée.
"Mais on a plus de chances de mettre un frein à  ces dégats en tentant de subordonner le marché à  des valeurs plus larges qu'en entretenant le fantasme romantique et impossible de son remplacement par la gestion autoritaire centralisée de la dynamique sociale, comme si les agents de cette gestion n'étaient pas eux aussi des dominants et des privilégiés"...

L'homme vivrait beaucoup plus misérablement s'il était privé de son libre choix de disposer d'échanges économiques, et au sens le plus large et le plus certain : des relations sociales.
En effet : "C'est par l'échange avec autrui que passe la majeure partie de nos espoirs, écrira André Thibault, et une part irréductible de cet échange... prendra la forme de transactions monétaires ! (Ne jetons pas tout et observons !) L'économie est d'abord et avant tout un champ de relations sociales. Sur une infinité de terrains, tant ceux de la culture que des nécessités matérielles, fournisseurs et clients se rencontrent et tentent d'accorder leurs intérêts dans un partage mutuellement satisfaisant. Ils se choisissent... Même l'objet le plus quelconque, ou superflu et critiquable, porte potentiellement un renforcement de liens humains, un germe convivial." L'auteur s'en prendra d'une certaine façon au décret sur la protection des idoles et lèvera les superstitions sur les relations sociales et les échanges marchands en en démontrant l'avantage humain.
Ces objets universels, selon André Thibault, ne prennent vie qu'à  travers leurs variations, multiples et visibles d'une culture à  l'autre. Nous sommes bien d'accords y compris à  propos de l'objet universel "Karl Marx" ... "Grand papa Marx" existera finalement dans sa forme pure et dure dans quelques cercles ou courants restreints et dans son universalité à  travers les interprétations sans nombre d'une nuée de libres penseurs ou d'inclassables comme Jurgen Habermas, Erich Fromm, Cornélius Castoriadis, trois sources avouées de la pensée sociale, politique, philosophique de notre auteur.

Rappelons, si je comprends bien André Thibault, qu'il y a un parti à  tirer de la démocratie industrielle et que le monde, plus encore entrepreneurial, ne devrait pas être tel qu'il est, à  tout le moins pour notre survivance biologique, alimentaire, sanitaire et pour la survivance des libertés / actions / relations / protections sociales. C'est une option à  méditer.
Le philosophe politique Pierre Mouterde dira qu'il convient de tirer profit des possibilités qu'offre la démocratie, de chercher tous les espaces de liberté pour créer plus d'espace politique, de démocratie, l'or des sans-parts... Avant le temps de la politique, dans l'antiquité grecque, était le temps de la loi du sang, de l'ancêtre, des familles régnantes et des titres, une loi répudiant les pauvres de naissance et réduisant / limitant leurs liens / activités à  leur statut d'esclave, de femme ou d'étranger ; "la politique" dans l'espace exclusif de la démocratie (pouvoir du peuple par le peuple pour le peuple) nous aura donc donné des droits et d'immenses libertés à  conquérir (lutte perpétuelle contre la domination) sur l'ordre présumé "naturel" des riches.
"Sur d'innombrables thèmes, écrit André Thibault, on espère que les partenaires économiques créent mille variations originales (au moins originales à  leur propre yeux) conformes à  leur caractère et à  leur environnement. Lorsque la concentration des entreprises réduit cette diversité et élimine les petits producteurs autonomes, lorsque les pressions à  la consommation rendent de plus en plus difficile la perception lucide de ses besoins et désirs, l'apport de chaque travailleur et les préférences de chaque consommateur se fondent et se perdent dans la standardisation et l'exclusion. Contrairement au titre dont se pare cette économie, il n'y a plus de marché... sauf au sens de marché de dupes !"

Au niveau du principe

Enfin, comme pour nous rappeler quelques unes de nos tendances collectivistes par trop simplistes ou non comprises, rapport aux solutions totalitaires expéditives au capitalisme et rejoignant en ce sens les propos de nombreux économistes d'inspiration marxiste, André Thibault concluera ce savant chapitre sur un bilan critique du travail et de la domination dans les économies socialistes.
"Le contrôle par une minorité s'accommode aussi bien de la propriété publique que de la propriété privée des moyens de production. L'observation révèle d'inconfortables constantes à  droite et à  gauche.
"Si on dépasse le barrage des mots et que l'on regarde froidement qui décide et qui doit se plier aux décisions, on s'aperçoit que le paysage des pays de l'ex-bloc de l'Est contre-disait radicalement les prétentions de l'idéologie." Et citant Castoriadis :" la suppression de la "propriété privée" laisse entièrement ouverte la question : qui dispose effectivement désormais des moyens de production et de la production elle-même ? Or en Russie (...) c'est la bureaucratie (...). Sous le couvert de la forme juridique de la "propriété nationalisée" (étatique), elle en a le jus fruendi, utendi et abutendi" (1)

Le conflit comme une donnée de fait

"L'appropriation des moyens de production par les travailleurs en Europe de l'Est, reprendra André Thibault, avait autant d'authenticité que l'Illiade en version hollywoodienne : les images donnaient le change, mais le sens n'y était pas. (...) L'Etat dit socialiste a dû se donner un pouvoir politique encore plus dur que le pouvoir économique des capitalistes privés, en ajoutant l'oppression à  l'exploitation. Autrement dit, lorsque cet Etat a fait main basse sur les usines, il a réalisé par d'autres moyens la concentration du pouvoir économique que l'accumulation avait permise en régime libéral.
"(...) Entre les sociétés qui se présentent comme libérales et celles qui furent basées sur le capitalisme d'Etat et qu'on disait "en transition vers le socialisme", les rapports de production se sont avérés de simples variations sur un même thème : à  l'Est autant qu'à  l'Ouest, les salariés vendaient leur force de travail, la division des tâches séparait l'être humain du produit de son activité, sa rémunération était rarement équivalente à  l'effort qu'il avait fourni, la conception demeurait généralement séparée de l'exécution"...
André Thibault nous proposera pour clôre ce débat une réflexion axiale sur les luttes classiques, les conflits sociaux et la place qu'elles/ils occupent sur la scène sociopolitique aujourd'hui : "Je reconnais que le conflit est une composante inéluctable de la vie en société. Mais quoi qu'en ait pensé grand papa Marx, je vois le conflit comme une donnée de fait, non comme une valeur en soi dépositaire de quelque mystérieuse primauté philosophique...
"(Par contre) je perds toute tolérance dans les cas où l'entreprise pratique des formes grossières d'exploitation, quand elle traite ses employés comme de simples facteurs de production, quand travailler à  l'usine réduit l'espérance de vie.
"Je souhaite (donc) une mise à  jour de la critique, principalement sur le terrain de l'organisation du travail. La dimension des activités des entreprises, le type de productivité recherchée, dépossèdent de leur activité des travailleurs de tous niveaux. Le rôle de chacun est encadré au point d'être étouffant. Les grandes administrations semblent condamnées à  cette absurdité qui les limite dans leur essence même. Au fond, je souhaite à  tous ceux qui ont besoin de s'actualiser dans leur métier ou leur profession de trouver du travail ailleurs !"

A m¯diter, avant d'attaquer les pages suivantes, les propos de Jacques T. Godbout (sociologue et professeur émérite à  l'Institut National de la Recherche Scientifique du Québec) auteur sur lequel insistera grandement André Thibault en ouverture de chapitre (notes 2, 3, 4).

Note et repère d'actualité

1- "Domaines de l'homme. Les carrefours du labyrinthe II" Castoriadis, Seuil, 1986

2- Pour les amateurs de pensée sociale, un extrait de conférence sur l'esprit du don, en tant qu'une part et forme des échanges humains écrira André Thibault, et objet spécifique des recherches de Jacques T. Godbout : "... Comme le marché, le don est aussi une façon de faire circuler les choses et les services entre les personnes. La circulation des choses qui passe par le don repose plus sur les liens sociaux, les valeurs d’appartenance, de gratuité, de générosité, d’altruisme. La circulation par le don repose sur la liberté. L’acte de bénévolat, libre et gratuit envers un inconnu est le geste de contestation le plus radical contre la mondialisation marchande qui voudrait que le temps ne soit que de l’argent...."

3- Lire également l'introduction du célèbre ouvrage "Le don, la dette et l'identité"

4- De multiples références Web sur J.T.Gogbout sur Agora

Chapitre IV
La politique

"L'armée et la police ne peuvent céder du terrain que lorsque s'étend le domaine du débat et que se restreint celui des affrontements sauvages. Alors que le règne de la violence dispose de moyens innombrables et colossaux (armes nucléaires, biologiques ou chimiques, pollution industrielle, surveillance électronique, fichage informatisé des dossiers de chacun), il ne reste pas mille options. La libre et constante recherche de compromis mutuellement acceptés se dessine comme une manière plausible de gérer un territoire inexorablement commun..."

Dans ce chapitre il ressort clairement que la volonté civile, administrative ou citoyenne consiste à  ne pas laisser les politiques (ou les théories), quelles qu'elles soient, libres de façonner le paysage électoral, urbain, social, familial sans de sérieuses remises en question, contre-propositions ou oppositions. Schématiquement : on est pas obligé de s'entendre sur tout avec tout le monde comme avec son meileur ami mais on est tenu, ensemble, pour avancer, de se poser un certain nombre de questions avec un certain relativisme d'ouverture, ennemi avoué du scepticisme et du partisianisme excessif. André Thibault demeure plus que jamais, ici, attaché à  son sens des variations autour de l'axe de l'expérience relative, clés de la concertation, des négociations et des possibles.

Cultiver la différence

"Peut-on forcer une économie à  produire ?" puis, au plan socioprofessionnel, posons la question : " qu'est-ce qu'on crée ou qu'est-ce qu'on empêche comme occasion d'expériences sociales quand on définit un poste, la composition d'une équipe, un cheminement de carrière ?" puis au plan sacrosaint de la natalité, du contrôle politique des naissances: "peut-on forcer un pays à  procréer ?"... L'économie ultraplannifiée, l'organisation hierarchique radicale d'une entreprise comme sa gestion aveugle sans recherche sociale appliquée, le clônage et les manipulations génétiques ne seraient-ils pas par extension autant d'aspects d'une sournoise dictature des certitudes sur l'imagination du monde ?...

"Cultiver la différence" sera finalement, selon André Thibault, le maître mot du discours sur le débat politique moderne socialement responsable, la différence entre une politique fonction de support des acteurs sociaux, louable souci, et une direction exercée politiquement sur une collectivité de robots.
"(Du reste), demande encore Thibault, faudrait-il renoncer à  imaginer un monde meilleur ?... Des rêves, si l'on en croît Castoriadis, qui seraient précisément ce qui fonde l'institution de la société".
Par le rêve, le sociologue et le militant proposent une certaine distenciation d'avec les principes théoriques, une option donc sur le caratère indéterminé du monde social réel, de la nature arbitraire des choix de valeurs.
Castoriadis : " la valeur (...), l'égalité (...), la justice (...) sont des idées/significations politiques concernant l'institution de la société telle qu'elle pourrait être et que nous voudrions qu'elle soit - institution qui n'est pas ancrée dans un ordre naturel, logique ou transcendant. Les hommes ne naissent ni libres, ni non-libres, ni égaux, ni non-égaux. Nous les voulons (nous nous voulons) libres et égaux dans une société juste et autonome - sachant que le sens de ces termes ne pourra jamais être définitivement défini, et que le secours que la théorie pourrait apporter à  cette tâche est toujours radicalement limité et essentiellement négatif" ("Les carrefours du labyrinthe" - Seuil, 1978).
L'incertitude de l'esprit, le tatônement des recherches, les conflits intérieurs et les polémiques sont des faits évidents (pour qui ne veut pas trop tricher), soi et autrui en découlent. L'homme est limité par nature. Cette limitation affecte ses dispositions et prédispose à  certaines lourdeurs dans le champ de l'organisation sociale et plus encore dans celui du politique. Il sera dit plus loin que "la plupart de nos structures politiques sont trop cohérentes pour être vraies. (Que) les majorités sur lesquelles on prétend s'appuyer sont largement mythiques et fictives".

La culture de la différence est bien observable

Que l'on se souvienne du NON au Traité Constitutionnel Européen du 29 mai 2005 en France, du NON hollondais quelques jours plus tard : un NON qui devra une bonne part de sa victoire à  l'intense culture conviviale et de proximitée du NON des internautes, très vite superficialisée - mais en vain - par la concurrence économique / politique des médias institutionnels.
Que l'on estime à  sa juste valeur le nombre et la qualité des projets populaires d'Assembl¯es constituantes, je pense notamment à  ceux d'Amérique Latine, du Québec bien sûr, de l'Europe - dans tous les Etats de l'Union Européenne coéxistent une multitude de collectifs citoyens, de groupes de recherche-action sur la base de projets communs constituants alternatifs.
Inutile de rappeler l'impact social du développement transnational des politiques altermondialistes, des Forums Sociaux pour lesquels le WEB des sociohistoriens imm¯diats et animateurs politiques populaires (plus ou moins en appui sur des collectifs sociaux, quelques universités ou groupes de recherche indépendants) joue le rôle de média non centralisé, pour une fois, à  l'abri de l'autoritarisme, de l'élitisme, des tentations normatives, dans un sain climat d'échanges conviviaux, de création, de projets de soci¯t¯ et non de concurrence ou de compétition...

"La démocratie a déjà  fait un pas énorme, écrira Thibault, en substituant le pouvoir de la majorité à  l'arbitraire des oligarchies. On est mûr pour l'étape suivante, celle de composer avec la réalité complexe d'un social multiforme que les simplismes traditionnels de la politique politicienne reflètent de moins en moins...".
Je crois ces propos en phase avec les besoins des acteurs sociopolitiques de notre temps. Qu'il suffise au lecteur de se pencher sur les réflexions d'un Etienne Chouard sur les principes généraux d'une bonne constitution - qui salue, au passage, la plateforme constituante de l'Union des Forces Progressistes québécoise pour l'indépendance. Que le lecteur s'autorise, ici, une lecture croisée d'avec les propositions générales et spécifiques d'André Thibault. (1)

"Une culture qui ne valorise pas les diverses identités collectives, écrit Thibault, est une culture qui encourage la domination des uns sur les autres. Que certains se considèrent peu eux-mêmes, qu'ils aient honte de leur langage, qu'ils n'osent pas rendre publiques leurs aspirations, révèle une accoutumance à  l'exploitation, à  la domination ou à  la marginalité qui explique la faible représentation de plusieurs groupes sociaux dans les débats collectifs".
Et plus encore "(...) Aucune société n'est viable à  long terme si elle coupée des autres sociétés.... (car) le pire handicap dans un rapport de force déséquilibré, c'est de ne même pas savoir en quoi consistent les avantages de l'autre."
Confirmant : " il est à  la portée de tous de contribuer à  rendre et à  garder vivante la riche hétérogénéité qui constitue une société. Les choix sociaux ne sont l'oeuvre exclusive d'aucun acteur en particulier, mais n'ont de sens et de viabilité que nourris par l'apport de chacun... Quel que soit le degré de transformation des mentalités qui résulte de toute intervention éducative, elle ne peut qu'activer une dynamique complexe encore en train de s'inventer entre de multiples acteurs autonomes qui apprennent à  s'influencer en recourant au besoin au conflit aussi bien qu'à  la coopération".

Des rites polymorphes de passages

Le monde est confronté a une nuée de rites polymorphes de passage plus ou moins lisibles ou acceptés. Nous ne pouvons que souscrire à  cette remarque qui reviendra comme une variation le long de cet exposé sur l'ajustement civil et citoyen à  la société contemporaine dans un contexte voulu socialiste par l'auteur, c'est-à -dire d'Etat redistributeur, de pluralisme, d'économie ouverte et variée (les petites structures, plus souples, y jouent un grand rôle), de libre natalité (en opposition au fantasme de la dénatalité et de la crise de fécondité des Etats), de désinstitutionnalisation de la famille (autre spectre - à  l'égal du marxisme - de la droite/gauche réactionnaire de Montréal à  Moscou, de Washington à  Madrid) et de parité professionnelle entre les sexes...

Un contexte nouveau est à  défendre

Les Etats plannificateurs des naissances, les familles conservatrices statistisées et leurs rejetons moralisés ont encore du mal à  l'accepter. En effet, les idéaux passés auxquels s'agrippent les classes politiques dominantes, néolibérales et conservatrices ("l'organisation politique camoufle sous une apparence anachronique de cohésion les intérêts particuliers divergents, se condamnant à  violer ses propres règles pour s'adapter à  la réalité") ne voit toujours pas d'un bel oeil les libertés et les droits en passe d'être conquis sans violence ni dégoût par les forces sociales, à  commencer par nos préoccupations les plus essentielles et les plus élémentaires :
"(...) Les possibilités de choix (aujourd'hui) confrontent la conscience à  des options déroutantes et les trajectoires individuelles se multiplient... Qu'on le veuille ou non, écrira André Thibault, les membres de la famille et les proches en général ne s'imposent plus comme seule réponse réaliste au besoin de relations humaines significatives; par la force des choses, ils sont mis en compétition avec une foule de concurrents. La personne qui abandonne un bateau où elle ne trouve pas son compte ne se condamne plus nécessairement à  dépérir sur une île déserte : d'autres ports et embarcations s'offrent à  l'accueillir, dont la plupart débouchent sur autre chose que des couples reproducteurs. Ceux qui restent sur le bateau assistent impuissants à  de nombreux départs !"

Note et repère d'actualité

1-Etienne Chouard, les principes généraux d'une bonne constitution

Fin de la 1ère partie
Christian Pose
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Les notes et repères d'actualité sont accessibles sur linked222
"Ses propres moyens" est disponible chez Nota Bene/Montréal