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Ses propres moyens - II

Ses propres moyens - II

Chers camarades, je vous propose une présentation en deux parties de l'essai "Ses propres moyens" du sociologue militant québécois André Thibault, un très bon moyen, avant le Forum Social québécois-2006, de faire le point sur des sujets comme l'organisation du travail, les droits des immigrés, la resolidarisation, la résurgence du totalitarisme, la judiciarisation du pouvoir politique, le droit, les lois, la police, les ex-Etats socialistes...Une approche critique de l'expérience, des sciences et des luttes concrètes.

Chapitre V
Les politiques sociales:

En guerre contre l'imaginaire maximaliste politique, économique, social, démographique, André Thibault condamnera, ici, les modèles qui incitent tous et chacun à  devenir des phénomènes de foire en s'astreignant à  des rythmes de travail alimentés encore par des valeurs et des règles issues du darwinisme et du stakanovisme social. "La moindre variation utile fait triompher l'espèce qui la possède", dira Charles Darwin. Aujourd'hui l'on parle beaucoup des variations utiles aux marchés boursiers et du triomphe de l'espèce qui les maîtrise. Mais cette vision maximaliste ne contient-elle pas sa propre contradiction ?

Les buts fondamentaux d'une société

"Notre système est bati sur un principe de compétition, écrit notre auteur, le bien commun est censé résulter des efforts maximaux que chacun déploie pour sa propre survie. Dans la perspective "éconolâtre" prédominante, chacun doit, pour survivre et se reproduire, assumer des combats continuels pour bénificier d'interludes de dominance dans un match sans fin avec le reste de l'humanité. Sur les épaules des individus les plus doués est investi le succès de l'espèce dans la compétition pour la survie, ce qui implique l'affrontement continuel des groupes entre eux et des individus entre eux. Les plus performants jouissent comme individus d'un degré de bien-être et d'épanouissement que la société avait rarement procuré à  qui que se soit auparavant... sans que cela suffise nécessairement à  les satisfaire !
"Mais les buts fondamentaux d'une société consistent-ils nécessairement à  rendre les humains plus euphoriques et puissants qu'ils ne l'ont jamais été, peu importent les effets pervers ? Combien de nos contemporains vivent dans leur travail et jusque dans leurs loisirs des stress constants difficilement supportables ! La remise en question de ces modes de vie ne peut être escamotée."

Des limites réelles

Une telle réalité conduit à  des équations sociales insolubles et rejaillit bien évidemment sur le casse tête chinois de la gestion des politiques sociales, par contre "uniformes et standardisées" mais "débordant très largement, écrira André Thibault, la compétence exigible de nos semblables. Ces responsabilités étant attribuées sans tenir compte des limites humaines et de celles de la réalité.
"Désormais les politiques sociales telles que nous les connaissons (impliquant des centaines de milliers d'individus pour des budgets de plusieurs millions de dollars) situent les lieux de décision à  un palier où il est impossible d'en évaluer la pertinence, d'en adapter les modalités aux besoins réels, d'en suivre et d'en contrôler les résultats. Ou bien les décisions affectant à  ce point l'ensemble de la collectivité résultent d'une réelle négociation entre les groupes sociaux touchés, ou bien le décrochage et la débrouille plus ou moins délinquante face au consensus imposé représentent des issues hautement probables.
"Pour qu'un régime standardisé soit gérable, cela implique que les personnes extrêmement diverses auxquelles il s'applique soient réduites à  leur définition de bénéficiaires, et en plus, que tous les bénéficiaires d'une même catégorie fassent l'objet d'une analyse homogène, c'est-à -dire, insistera André Thibault, d'une caricature. Il faut ignorer systématiquement les cas particuliers... c'est-à -dire tous les cas.
Malheureusement pour nous tous "une catégorie de la population est définie en bloc par une même autorité. Cette simplification unique a alors force de loi. Le haut degré de fiction qui en découle n'est pas étranger à  l'insatisfaisante performance pratique (des) ... politiques sociales." (1, 2, 3)

Notes et repères d'actualité

1- A titre de crédit documentaire je vous propose un coup d'oeil sur les droits civils, économiques, politiques, sociaux et les politiques sociales au Québec et au Canada, un remarquable dossier d'actualité sur les droits des personnes pauvres composé par La Ligue des Droits et Libertés

2- Un excellent article sur la question de Lucie Lamarche, professeur à  la faculté de science politique et de droit de l'université de Québec à  Montréal intitulé "La place du Québec sur la scène internationale, qu'en est-il des droits des personnes ?" publié dans les colonnes de Devoir.com en août 2005

3- André Thibault proposera une critique du peu de mouvements occasionné au Québec par les questions du Comité sur les Droits Economiques, Sociaux et Culturels des Nations Unies dans notre interview "Quelques propos sur le politique, le droit, les lois, la capitalisme, la misère et l'utopie concrète pour refonder la société" (Q.4) d'août/septembre 2005

Chapitre VI
Santé émotive et relations interpersonnelles

André thibault nous proposera, ici, une étonnante réflexion, aussi personnelle qu'argumentée, sur l'épineuse question de la sociabilité. Une façon de pénétrer par la psychologie sociale, l'émotion, les relations interpersonnelles, les lettres, l'humour aussi, les différents aspects d'une crise existentielle source d'évidentes mutations dans nos rapports au monde, Å¡ autrui, autrui qui, ici, cesse d'être l'emblématique enfer sartrien, Å¡ la vie professionnelle, sociale et bien entendu familiale.

Entraide, failles, fractures...

A travers de multiples séances "d'entraide", de "soutien" psychologique, amical ou affectif, d'"analyses", d'"orientations", notre auteur invitera de nombreux "patients" à  se repositionner au coeur d'une défaillance, d'un déséquilibre ou d'une crise profonde. L'on sait également que ce qui vaut pour l'infinimement petit vaut parfois pour l'infiniment grand. Beaucoup de conflits, de chaos (non limitatifs) et de crises naissent de ces failles; de nombreux auteurs utiliseront, du reste, le concept de "fracture"...fracture psychologique, fracture psychique, fracture de la structure sociale (là  où les forces sociales n'existent quasiment pas ou sont sous organisées), fracture du système économique (de la production, de la distribution), etc... L'on sait également l'intérêt que représente ce type de failles / fractures et donc cette souffrance, pour les gens mal disposés - je compte les capitalistes, les violents et les avides, les mafieux, les menteurs impénitents et les macros au nombre des gens mal disposés .
Certain(e)s se feront "rouler dans la farine" dès la communales par de faux-maîtres, par des familles d'accueil ignorantes ou violentes puis, plus tard, par de mauvais patrons et pourquoi pas par de faux gourous, pour certaines de nos amies - et elles sont de plus en nombreuses à  s'en plaindre - par de mauvais maris. La littérature sur les violences et les crimes dans les familles, dans les couples comme sur les sectes et les dérives du communautarisme en Europe comme en Amérique du Nord abonde en ce sens.

"Chacun se retrouve avec dans son bagage émotif une charge de déboires bien pleine et bien tassée, écrit André Thibault. Voici quelques exemples de débris qu'on relève, au plan affectif (il faut bien passer par le menu pour se faire une idà¾e), dans la cargaison que la vie nous a laissée :
- avoir fait face à  l'absence de réponse évidente à  des moments où nous éprouvions un intense besoin d'amour;
- la présence de tierces personnes dans la vie de quelqu'un que nous aurions bien voulu accaparer;
- le désenchentement de l'autre qui nous a découverts comme nous étions, après nous avoir idéalisés;
- notre propre découverte, après une flambée de passion, que nous avions commis une erreur sur la personne.
"Ou bien de telles épreuves nous durcissent comme des tartines dans un grille pain mal réglé, ou bien ce sont des périodes où la sensibilité s'approfondit, se raffine : "le sujet ayant revécu cet évènement terrifiant et l'ayant assumé, pourra repartir de nouveau dans la vie avec un coeur léger et assumer les responsabilités qui l'attendent". (1)
"Nos amertumes passées demeurent une partie de nous, irrémédiablement. Si nous avons vécu assez longtemps, les déchets accumulés deviennent même une part essentielle de notre identité. L'art de la catalogne permet de recycler les tissus défraîchis au lieu de les éléminier. Nous sommes des catalognes que la vie a tissées. On imagine pouvoir éliminer a priori les déchirements intérieurs qui tissent le drame de nos vies - alors qu'ils en constituent aussi le potentiel de croissance."

Brève digression sur la vie domestique

Ce propos sur les causes du désenchantement me rappelle très librement celui de l'artiste peintre Yoshikawa sur la vie domestique et le désenchantement japonais.
"Tout ce qui n'est pas domestique est vrai, dira cette artiste japonaise, mais tout ce qui est domestique vous conduit aux confins de l'agir juste, du vrai, de l'essentiel. Notre rapport à  l'argent, par exemple, me dira-t-elle lors de l'atelier-exposition "Do You Like Yen ?" est essentiellement domestique et doit être compris dans son contexte d'échange, traditionnel ou non, ou d'outil, sans plus.
"L'importance que le japonais confère à  la vie domestique est un aspect aussi bien traditionnel que moderne... Ce pays est-il plus libre parce que la vie quotidienne est au centre de ses préoccupations ? Oui et non. La plus grande quantité d'épargne privée au monde y circule et est un facteur de confort aujourd'hui relativisé par la permanence de la souffrance et de la mort. Y circule donc une part de la cause de la souffrance du monde.
"Le Japon détient le record annuel de suicidés pour raisons professionnelles. Les couples heureux sont rares et les familles unies plus rares encore. Les jeunes naissent déséquilibrés et dès le collège sont capables: déparentisés, technopolisés, de tuer à  coups de couteaux "juste pour voir comment çà  fait"; les jeunes-adultes sont capables de consacrer une bonne partie de leurs loisirs à  des sévices sexuels et à  des jeux de tortures, certains réalisent des vidéos pornographiques pour se préparer à  la vie du XXX sur le WEB. L'on a même compté chez les plus vieux des cas assommants de cannibalisme... pour tromper l'ennui tragique du quotidien, la violence domestique ou le drame de la fin de vie.
"La vie quotidienne au Japon sécrète toutefois de nombreux contrepoisons, mais ils sont difficiles à  trouver... Les bouddhistes, les shintoïstes, les confucianistes, les taoïstes ne réussissent pas mieux que les personnes dites "sans religion". Symboliquement, le japonais vit le quotidien en absorbant une potion de médecine par les plantes. Elle est souvent amère, donc bonne (rires). D'un autre côté, c'est indéniable, la vie est ce que nous faisons...".

"Simplement la vie !"

"L'acte primordial de manger, écrit André Thibault, marque la volonté et la nécessité de puiser dans l'environnement de quoi vivre comme corps. Mais ce que nous mangeons et la façon de le manger sont aussi pétris de culture : l'animalité se réalisant en connivence avec l'imaginaire symbolique!
"Parfois même, on mange en conversant. Souvent, contrairement à  la fleur nommé volubilis, on est volubiles mais pas épanouis. Dans beaucoup de ces conversations, tensions et agressivités inavouées assombrissent le plaisir et l'intérêt de communiquer. En conclure que les gens sont ennuyeux, conformistes, qu'on risque à  leur contact de perdre sa créativité, son indépendance, passe à  côté du vrai problème.
"En réalité, nous avons d'intenses désirs de contacts chaleureux, sans que les personnes immédiatement disponibles nous conviennent nécessairement. Tous les jours, des gens se croisent. Deux univers qui se croisent, c'est banal. Quelquefois nous nous connaissons, c'est déjà  moins banal. Quelle capacité d'amour est restée intacte et disponible dans chacun de ces univers ? Il arrive que des désirs se rencontrent, que des aspirations convergent.
"Lorsqu'on les aime, bien des adultes ont peur que l'emportement de l'amour les engloutisse aux dépens de leur originalité personnelle. Mais tout autant, nous ne cessons jamais de craindre qu'on ne puisse pas nous aimer à  la mesure de nos besoins! On dissimule ces besoins contradictoires derrière une grande désinvolture. Notre assurance émotive n'est qu'une apparence! En réalité on conserve longtemps les même grandes incertitudes qu'à  l'adolescence, celles qui retardent le sommeil et qui coupent le souffle, et que la vie continue à  nourrir au lieu de leur apporter des réponses.
"Des cultures orientales, je retiens la conception que tout dans l'univers serait constitué par la coexistence et la tension de pôles opposés. Vouloir le bonheur ? Oui ! A l'exclusion des tensions ? absurde! Bonheur et tensions! dans l'amour autant que dans la solitude..."

"Inévitables distances"

C'est le temps de se dire, en accord avec le psychologue Thomas d'Ansembourg, que finalement il est plus correct - non seulement envers soi-même mais aussi envers autrui - d'être vrai que d'être gentil (4).
"Un certain pluralisme confine à  la coexistence de personnes qui se dissimulent les uns aux autres ce qui les fait exister" (5).
"Certains codes sociaux auxquels nous nous soumettons divergent beaucoup de nos tendances propres; mais quand, dans tous les domaines de l'existence, nous faisons semblant ou que nous nous efforçons de nous adapter à  tout prix, les autres sentent intuitivement ce que nous ne nous avouons pas à  nous mêmes. Dès que nous allons assez loin dans les confidences ou les tentatives d'intégration, nous découvrons la distance qui nous sépare de bien des personnes et des milieux dont des élans ou des circonstances nous avaient rapproché. Cette sociabilité problématique n'engendre que solitude intérieure. De même, j'ai dû me rendre compte à  la longue que, dans les moments où je suis en quête de travail, mieux valait chercher plus longtemps que de sous-estimer mon absence d'intérêt pour certaines tâches."

Manifester ses différences

"La différenciation actuelle des styles de vie et des valeurs, conclura André Thibault, entraîne des possibilités inédites de liberté, mais aussi des limitations à  la mesure des distances qui se construisent entre les réseaux de sociabilité des uns et des autres. Dans un tel contexte, mieux vaut être intransigeant, et l'être trop au goût de certains qui préfèrent les exhibitionnistes de la tolérance. Ces derniers maintiennent apparamment plus de contacts, mais communiquent moins. La fonction phatique du langage, le bruit oral qui donne l'impression physique d'être ensemble, prend toute la place. Manifester clairement ses différences, ses désaccords, est plus honnête... Les gens nombreux, qui cèdent à  la pression et semblent mener la vie sociale la plus active pratiquent au contraire une sociabilité essentiellement passive : ils ne contrôlent en rien leurs relations avec autrui, ils se laissent entraîner dans des conversations convenues et mécaniques (dont un auditeur attentif pourrait deviner à  l'avance la plupart des répliques) ; ils ne choisissent par les partenaires de rencontres qu'ils se laissent dicter par la nécessité de leurs diverses appartenances et le hasard des occasions..."

"(...) Aujourd'hui comme alors, il faut parfois beaucoup de solitude, de paix intérieure, pour entretenir une vie personnalisée de l'esprit, apprivoiser les pullulements de peurs, de colères et d'amertumes qui jaillissent des aléas de la vie sociale et se rendre disponibles à  une convivialité qui ait du sens. Cette recherche n'en demeure pas moins aussi prometteuse - et sans doute davantage - que la contraignante poursuite de l'homogénéité des groupes d'appartenance. Ceux et celles qui acceptent de l'assumer sont mieux équipés que quiconque pour faire face aux défis de la vie actuelle."

Notes et repères d'actualité

1- C.Jamont, préface à  Pierre Daco, "Les triomphes de la psychanalyse, Verviers, Marabout, 1965

2- "Do You Like Yen ?" Tokyo-Paris, Mami Yoshikawa, 2004

3- l'écologie des économies et des ménages, M. Yoshikawa

4- Thomas d'Ansembourg, "Cessez d'être gentil, soyez vrai!" Montréal, ed. de l'Homme, 2001

5- Fernand Dumont, "Le sort de la culture", Montréal, ed. L'Hexagone, 1987

Chapitre VII
Conflits, solidarités et appartenances

De nouvelles propositions. Si notre auteur est lié aux mouvements altermondialistes (comme à  la préparation du Forum Social québécois de printemps 2006), à  ATTAC Québec, aux Amis du Monde Diplomatique-Canada dont il anime le groupe de Montréal, ou s'il suit avec intérêt les mutations historiques des mouvements alternatifs comme D'abord Solidaires, Réseau de Vigilance, les Verts ou Option citoyenne qui fusionnera en 2006 avec l'Union des Forces Progressistes (UFP), il n'en est pas moins comme beaucoup d'intellectuels québécois un penseur/acteur social à  la fois critique et subversif au sein des courants qu'il a soutenu ou qu'il soutient encore.

André Thibault propose une nette distanciation, et l'on comprendra bien pourquoi, d'avec l'idolâtrie politique et bien entendu d'avec les idéologies politiques convientionnelles chosifiées, les comportements politiques, économiques et sociaux stéréotypés réglés sur le pas de l'institutionnalisation au rythme des intérêts souvent contradictoires entretenus par les lobbys (qu'il vaut mieux rendre légaux une fois pour toute selon l'auteur) et les grosses entreprises. Il propose, en quelque sorte, une ouverture psychologique sociale dans le champ intense des activités, et parfois une philosophie pratique de l'action politique non violente ouverte aux développements régionaux et locaux, et c'est plutôt une bonne chose.

A un autre plan, ce chapitre, qui est une version remaniée d'un document publié dans le quotidien Le Devoir en mars 1983, démontrera l'avantage humain du sens pratique, empirique et relativiste; un habile compromis pour la recherche de solutions concrètes aux conflits mais également pour la préservation de la dynamique sociale engendrée par les intérêts du particulier et par ceux, souvent en opposition, des collectivités. Il n'est donc pas étonnant qu'André Thibault, homme de débat mais également de gestion (il co-administre les éditions alternatives Ecosociété), donne en ouverture de chapitre la parole à  Amadou Toumani Touré, chef d'Etat du Mali : "Cette liberté nouvelle c'est comme une cour de récréation, écrit Amadou Toumani Touré - sans doute après le renversement du dictateur Moussa Traoré en 1991 ou après sa propre élection à  la présidence du Mali en 2002, il faut du temps pour organiser tout le monde et pour que chacun sache où est sa place"... (1)

"Mes intérêts légitimes et ceux d'autrui ne cesseront jamais d'être en litige, écrit André Thibault. Nos visions de la société non plus. Les conflits sont inhérents à  la vie sociale, même si elle n'est pas que cela. L'ordre est toujours partiel et provisoire. Dans tous les domaines, nous avons des divergences les uns avec les autres...
"Il n'y a pas de raisons pour que les Québécois en particulier s'aiment tous et toujours à  tour de bras...et ce n'est pas nécessaire ! Nos institutions, comme toutes les institutions, sont ce qu'elles sont : quelques fois consensuelles ou constructives, quelques fois orageuses ou régressives. Les grands affrontements qui opposent régulièrement notre Etat et nos organismes syndicaux, populaires, culturels, etc. ne sont pas l'apocalypse. Ils sont simplement pénibles et angoissants. Ces institutions que nous avons tant idéalisées se sont révélées elles aussi des appareils de pouvoir, ni plus ni moins que les multinationales ou la publicité.
"Le Québec n'est pas plus que d'autres à  l'abri des glissements vers la sécheresse technocratique, le totalitarisme ou la violence. Hitler n'est pas un accident, non plus que le nettoyage ethnique au Rwanda, le massacre des Arméniens par les Turcs... ni le rejet par l'Immigration canadienne d'autres Turcs qui, eux, n'avaient jamais massacré personne. C'est le tragique de la condition humaine. Il n'y a pas d'absolus : ni le culte identitaire, ni l'autorité de l'Etat, ni la lutte des classes, ni la définition des droits et libertés.
"Nous avons fourni l'occasion aux leaders indépendantistes de se croire l'incarnation vivante de l'identité québécoise - aux leaders de nos Centrales de se prendre pour le fer de lance de toutes les luttes sociales - et à  nos ministres des Finances de se constituer cerveau financier d'un peuple de poètes qui ne savent pas compter. Ils finissent par succomber à  notre excès de confiance. Comme la divinité ne se partage pas facilement, eh bien ! leurs confrontations sont forcément épiques."

Un long processus démocratique d'émancipation

Si ce très important document de 1983 est remanié et diffusé en 2005 l'on peut raisonnablement penser que l'indépendance Québécoise n'est pas gagnée, mais que des ouvertures psychologiques sociales et des canaux manquant hier pour vivre les conflits, les rejets et les frustrations sur le chemin sont désormais lisibles et donc disponibles.
"Les élections (après une vague de rejet du politique par les jeunes et une prise de conscience de l'enjeu à¾lectoral) écrira André Thibault, en tant qu'affrontements ritualisés auraient à  leur charge de canaliser la somme des agressivités refoulées..." De nombreuses actions seront donc engagées pour renforcer le sens de la resolidarisation et de la resocialisation auprès des jeunes-adultes quà¾bà¾cois.

Encore des conflits : Etat et syndicalisme

"L'Etat et le syndicalisme se pensent chacun les mandataires infaillibles et absolus d'une cause sacrée. A l'avant-garde de l'ensemble des démarches progressistes de notre société, nous avons vu dans l'action syndicale la forme privilégiée de la marche collective inexorable vers une société juste. Nous estimions avoir enfin un projet de société cohérent et unificateur, cimentant la sainte alliance des forces de développement et de justice, avec au sommet un Etat qui nous incarnait intégralement et dans la transparence. Mais lorsque papa et maman se mettent à  se lancer des assiettes et à  parler de divorce, bébé vit difficilement son dépucelage affectif. Le monde semble s'effondrer. Bébé est forcé d'admettre que papa et maman ont des défauts. Notre scénario a été bousillé. La messe solennelle de notre émancipation collective avait tellement bien départagé le choeur des bons et celui des méchants!
"Quand se produisent les affrontements entre les puissants appareils de l'Etat et du syndicalisme, la plupart d'entre nous n'y pouvons rien! Pourquoi nous sentirions-nous responsables de dépanner des acteurs qui se sont volontairement embourbés dans leurs conflits ? Si nous succombons au chantage moral exploitant le vieux fond de scrupule chrétien des Québécois, nous sommes encore une fois les dindons de la farce.
"Nous manquons (en fait) d'occasions et de canaux ordinaires pour vivre nos conflits. Notre rejet justifié de la violence va jusqu'à  réprimer et censurer les inévitables affrontements vigoureux entre nous. Le sourire "ben l'fun" qui concourt à  donner au Québec son visage hospitalier n'exprime pas seulement la chaleur humaine : on peut y lire aussi une peur chronique de vivre, de s'affirmer, de s'opposer, de risquer..."

Les possibles humains, l'activisme local, une riche dimension politique et sociale

Ici, André Thibault commente la mutation historique en cours. C'est précisément parce qu'il n'y a pas d'absolus (ni d'homogénéité sociale à  conquérir à  tout prix) que tout s'écoule ou se transforme (le rôle de l'immigrant et de la marge) selon un immuable principe interactif de variations, de créations d'imaginaire et d'expériences, que les possibles humains - atypiques - sont possibles et que la vie locale et ses nombreuses charges demeurent un précieux et indispensable enjeu, tant local que planétaire. Nous voulons bien le croire.
"(...) L'émergence tâtonnante de nouvelles règles du jeu (sociopolitique) transforme la substance même de l'identité des acteurs. La société devient autre. De nouveaux venus, ainsi que des membres jusqu'à lors dominés, exclus ou marginalisés s'adaptent mieux et aménagent leur espace; d'autres naguère privilégiés et bien intégrés perdent leurs avantages. Les arrivés et les départs s'accumulent.
"Comme tout s'expliquait toujours par la société globale, laquelle possédait un grand degré de cohérence, il fallait la changer pour un autre modèle de société possédant un non moins grand degré de cohérence. Un tel réflexe nous a conduits à  mépriser les actions locales et la vie quotidienne. Un certain type de sociologie, nourri des textes austères et sérieux qu'on parcourt la nuque tendue et les sourcils froncés, avait un peu déformé notre regard. Je le dis d'autant plus volontiers que cette manie intellectuelle québécoise est justement la discipline intellectuelle dans laquelle j'ai étudié et assuré ma subsistance.
"Personne n'instaurera jamais de façon définitive et totale la justice, la paix et l'harmonie. Démystifions donc la séduction des modes idéologiques ou des alternances électorales qui nous promettent sur un plateau le parfait bonheur. Une fois absorbé le choc des grandes deceptions, nous avons une chance de nous éloigner un peu de l'infantilisme politique. Il est temps de reprendre sans cesse nos tâches quotidiennes et locales, le plus souvent à  une échelle modeste.... Il n'est plus possible d'imaginer que certaines institutions centrales portent sur leurs épaules la société au complet, et d'en attendre les ordres et les directives. Les actions locales et la vie quotidienne, nous avons à  les habiter, à  les assumer...".

Notes et repères d'actualité

1- Amadou Toumani Touré, chef d'Etat du Mali, biographie
2- Amadou Toumani Touré : Internet & Démocratie

Chapitre VIII
Valeurs et règles du jeu

Il sera difficile de ne pas se sentir impliqué par la matière traitée dans cet avant dernier chapitre "Valeurs et régles du jeu". Nous vivons de nouveau une époque charnière. Il est vrai cependant qu'un certain ancien monde/régime s'attarde, s'acharne, résiste, et ne souhaite pas laisser passer ces nouveaux acteurs conscients des effets nuisibles des sociétés transnationales, de l'inefficace des institutions publiques - un récent audit réalisé pour l'Etat français, inexplicablement (?), par le groupe bancaire privé BNP-Paribas (rapport Pébereau) annonce une dette publique record de 2000 milliards d'euros soit plus de 120% du PIB français (le taux d'endettement maximum des Etats autorisé par Bruxelles est fixé à  60% du PIB)- de l'agressivité redoublà¾e des marchés, des coups d'Etat à  crédit ou à  retardement dissimulés sous d'habiles contrats d'échanges ou zones de libre-échange, et surtout conscients du rôle que jouent pour cette minorité commerciale / économique / néolibérale : droit et police. Ce sera, du reste, le sous-chapitre intitulé "Le droit ou la Police ?" qui me parlera le plus.

Mais tout d'abord je ne peux m'empêcher, alors que vient de s'achever le dernier sommet de l'OMC à  Hong Kong, de repenser lors d'une brêve digression historique à  ce que "grand papa Marx" écrivait dans sa postface à  la seconde édition allemande du Capital le 24 janvier 1873 et à  ce que Frédérich Engels écrivait dans la préface à  l'édition anglaise, toujours du Capital, le 5 novembre 1886.

Dans sa postface il faisait part de ses réflexions sur les pressions de l'Association libre-échangiste fondée en 1838 par les fabricants Codben et Bright à  Manchester. Elle luttait (entre patrons) pour l'abolition des Lois sur les Céréales (Corn law) contre les intérêts conservateurs des Landlords et obtint gain de cause en 1846...
Ce qui est intéressant c'est que la bourgeoisie avait conquis le pouvoir politique en France et en Angleterre et la lutte des classes -aujourd'hui nous élargirions le concept à  celui de résistance et de lutte des opprimés dans le monde - avait prit alors, dans la pratique et dans la théorie, dira Marx, des formes de plus en plus explicites et menaçantes. Cette lutte sonnera le glas de l'économie bourgeoise scientifique. La question ne sera plus, en effet, de savoir si tel ou tel théorème est vrai (il en ira de même, à  mon sens, pour le propos théorique juridique et économique dominant contemporain), mais s'il est utile ou nuisible au capital, s'il lui cause de l'agrément ou du désagrément, s'il est contraire ou non aux réglements de police...

Engels écrira cet intéressant document : "(...) Le temps approche rapidement, ou un examen approfondi de la situation économique de l'Angleterre s'imposera comme une nécessité nationale. Le fonctionnement du système industriel de ce pays, qui ne peut se faire sans une extension constante et rapide de la production, et par conséquent des marchés, en est arrivé à  un point mort. Le libre-échange a épuisé ses ressources; et même Manchester doute de cet évangile économique qui fut autrefois le sien. L'industrie étrangère qui se développe rapidement se dresse partout en face de la production anglaise, et cela non seulement sur les marchés neutres et même de ce coté ci de la Manche. Tandis que la force productrice augmente en raison géométrique, l'extension des marchés augmente en raison arithmétique (l'on comprendra aisément les raisons de l'expansion du juridisme commercial occidental pan étatique et des "plans légaux" de conquête des nouveaux marchés au nom de la démocratie - droits d'annexion militaire des Etats socialement démunis, droits policiers des douanes et lois antiterroristes garanties - nda).
"Le cycle décennal de stagnation, prospérité, surproduction et crise, écrira Engels, qui se reproduisait régulièrement de 1825 à  1867 semble, il est vrai, être résolu, mais seulement pour nous faire échouer dans le bourbier sans espoir d'une dépression permanente et chronique... La période de prospérité si ardemment souhaitée, ne viendra pas... chaque hiver se pose cette question : "que faire des chômeurs?". Mais tandis que le nombre des chômeurs va grandissant d'année en année, il n'y a personne pour répondre à  la question et nous pouvons presque calculer le moment où les chômeurs, perdant patience, prendront eux-mêmes leur sort en main...
"L'Angleterre est le seul pays ou la révolution sociale inévitable pourrait se faire par des moyens pacifiques et légaux. Certes, Marx n'a jamais oublié d'ajouter qu'il ne s'attendait guère à  ce que les classes dominantes en Angleterre se soumettent à  cette révolution pacifique et légale sans faire une "proslavery rebellion" - allusion au soulèvement des planteurs esclavagistes des Etats du Sud qui contribua au déclanchement de la guerre civile américaine de 1861-1865 !..." (1).

Des revirements spéctaculaires

Les grandes questions demeurent quasiment inchangées, par le fond comme par la forme. André Thibault, comme répondant à  Marx par le moyen de la créativité sociale (moyen révolutionnaire pacifique et légal s'il en est et par lequel il exhortera l'individu et la collectivité locale a se prendre en main), dira dans son propos relativiste sur l'Etat de droit et sans jamais minimiser les ravages du libre-échange autant que les causes probables des échecs des Etats socialistes : " Sur les bords de la Vlatva que nous persistons à  appeler la Moldau, des Pragois et des Pragoises se félicitent, eux, d'avoir continué à  espérer en un Etat de droit lorsque las baïonnettes eurent rétabli chez eux la loi et l'ordre tels que figés par une géopolitique qui semblait alors coulée dans le béton. Dans l'ex URSS, après la Pologne et la Hongrie, en Chine même, l'aspiration à  une plus grande démocratie a suscité un enthousiasme aussi débordant - et aussi vulnérable - que l'on fait naguère les grandes révolutions libérales, la française et l'américaine. Les désenchantements qui suivent n'en effacent pas les traces.
"Admettons que les actions qui s'offrent à  nous (aujourd'hui) sont moins spectaculaires qu'elles ne l'étaient. Certains revirement de valeurs et d'attitudes sont (cependant) spéctaculaires. La démocratie pluraliste en train de s'inventer s'inspire de nouveaux modèles, forcément pragmatiques et relativistes. Les outils prometteurs s'appellent accommodement, négociation, solution de problèmes. Ces expérimentations sont lourdaudes, rigides on s'enfarge dans le juridisme... mais les remèdes à  ces bavures sont en avant, pas en arrière. La tradition en reste schématique, squelettique, elle manque de viande. Mais les tendances nouvelles sont en train de construire mine de rien une autre "socialité".
"La société est et sera toujours imparfaite. Quand nous n'inventons pas de baumes et de boucliers ou même la paix alors se multiplient les blessures. C'est souvent grâce à  des mécanismes formels débouchant sur des décisions écrites ayant force réglementaire que les conflits entre groupes et entre individus peuvent s'atténuer.
"Nous sommes tous les jours exposés à  nous faire écraser les orteils par un pied qui n'adhère pas aux mêmes codes de conduite que nous. Les pieds, comme fauteurs de troubles, sont universels, transculturels, interclasses et unisexes. Dans la société où nous vivons, ils obéissent tous cependant aux mêmes tribunaux, les uns volontiers, les autres sous la contrainte. Comme nous sommes toujours en butte aux lacunes de notre condition humaine, principalement aux dangers que chacun fait courir aux autres quand il se conduit comme un pied, aussi bien nous initier au fonctionnement du pied et à  l'art de traiter les litiges qu'il provoque."

Tout est relatif

André Thibault estime plus loin que le recours à  la justice, entre deux maux il choisira le moindre, peut êre un moyen, "la grisaille ne serait pas la grisaille... " tout en combattant comme nombre de ses collègues de l'université et des mouvements alternatifs le juridisme et la judiciarisation du pouvoir politique au Canada et au Québec.
La loi et le droit, c'est un constat partagé par beaucoup d'analystes - nous le verrons plus loin dans les propos de Frédéric Rolin - menacent d'être réduits à  deux aspects du pouvoir politique au service des intérêts des entreprises ou du marché. L'économie entrerait donc en contradiction avec la démocratie lorsqu'elle se mêlerait d'orienter les lois. Et c'est bien ce que, par exemple, la vague réformiste des différents courants altermondialistes condamne.
Notre auteur surfant sur la vague tout en s'opposant au totalitarisme qu'il soit judicaire / juridique, politique, militaire, religieux ou commercial, proposera de garder confiance en une certaine société de droit, en certains aspects du marché concurrentiel et en la mutation sociale en cours.
"Tout est relatif", dira-t-il en regardant avec "compassion et pragmatisme" du côté de l'économie marchande :"Avant les lois actuelles de protection du consommateur, avant leurs réglementations que certains considèrent tatillones, dans un contexte ou le public ne pouvait pas encore, pour se faire respecter, brandir l'épouvantail procédurier, le vendeur avait tous les droits et si j'étais dupé, je ne pouvais m'en prendre qu'à  ma propre candeur. De telles lois sont maintenant en vigueur."
Toutefois, relativité oblige, "l'économie marchande n'en dispose pas moins de moyens fabuleux pour suggérer aux familles mille dépenses inutiles, parfois recommandées par des médecins. Des chiffres de vente faramineux sont générés par la pléthore de produits conçus pour exploiter les sentiments de culpabilité et d'inadéquation des parents contemporains envers leurs chers petits, et les inviter à  expier en inondant de cadeaux cette génération "négligée".
"L'agression publicitaire n'est pas inventée par des imaginations paranoïaques. L'attaque est permanente. Mais - et c'est toute la différence - les entreprises écopent de plus que leur part d'actions en justice. Ces utilisations intensives des voies judiciaires répondent à  des rapports sociaux où les intérêts et avantages des uns empiètent sur les fragilités des autres." .

L'ordre sans le droit

Pour renforcer son propos sur l'avantage humain du droit et des lois André Thibault évoquera l'emprisonnement du poète noir du Malawi Jack Mapanje (2). Cas extrême et emblématique pour appréhender un problème commun à  plus d'un démocrate, dissident, réfractère, hérétique dans le monde, cas plus fréquent qu'on ne le pense dans nos contrées prétendues "pacifiées", patries des "droits de l'homme et du citoyen" ...
Ici, toutefois, au Malawi "les rivaux" n'ont que peu l'occasion, écrira André Thibault, de résister par des avocasseries. Beaucoup d'entre eux apprécieraient comme un privilège ce recours dont l'usage (en Occident) nous agace. (Les opposants au Malawi et en Afrique) sont parqués derrière les grilles comme des bêtes sauvages. Inutile de dire que dans ces pays le "fléau" de la judiciarisation ne menace pas de tourner à  l'épidémie.
"Plus près de nous, au premier essoufflement du mouvement de libération du Portugal, on a vu la Garde nationale républicaine utiliser la manière forte pour assurer "l'ordre". Ces moeurs ont tenu le coup jusqu'à  la toute fin des régimes dictatoriaux occidentaux, elles se sont même cramponnées lorsque l'histoire a amorcé un virage...."
Toutefois, là  où l'épidémie de judiciarisation est, je pense notamment aux Etats-Unis, le droit n'est pas davantage appliqué et la loi est absente de bien des prisons. André Thibault parlera, à  ce sujet, de déviations caricaturales et de déviations grotesques.
Le dramaturge Harold Pinter dans son discours d'investiture (Nobel 2005) aura une vision similaire. Il dira du système pénitencier américain - plus de deux millions de prisonniers - qu'il est désormais "un vaste goulag de prisons qui s'étend d'un bout à  l'autre des Etats-Unis" (3).

L'on serait tenté de dire qu'il n'y a pas de grandes ou de petites dictatures. Ceci nous permettra de mieux cerner le problème d'un point de vue théorique et pratique. André Thibault est bien d'accord sur ce point.
En effet, "comparés aux petites communautés qui maintiennent leur homogénéité à  coup de mythes transcendants, de pressions morales et de chantage affectif, les discours justificateurs des dictatures manifestent une différence radicale de moyens mais une similitude d'objectifs. Dans un cas comme dans l'autre, les continuels rappels à  l'ordre et à  l'unité opèrent la mise hors champ des objets disparates qui enlèveraient au tableau d'ensemble son impression de cohérence.
"Les deux systèmes véhiculent une même conviction parfois sincère, toujours dérisoire et tragique. Au plan du fonctionnement social mis en oeuvre, comment ne pas y voir tout un mécanisme de négation du caratère tendu et divisé inhérent à  la vie en société ? Même si leurs outrances ne reposent pas uniquement sur la mauvaise foi démagogique, il en résulte une autorité à  l'aspect punitif et vengeur, d'une dureté pathologique."

Les tribunaux plutôt que l'oppression

"Finalement l'alternative qui s'offre aux sociétés présentes, écrira Andre Thibault, ne porte pas sur le choix entre la convivialité généralisée et le juridisme, mais entre ce dernier et la détention arbitraire.
"La question est de savoir si la loi encadre la police ou si la police fait la loi. Or, dans notre système, ce n'est pas au policier de juger. (Au regard d'un officier de police français) la société sera protégée dans la mesure où les gendarmes se contentent de "fournir à  la justice quelqu'un qui a reconnu être l'auteur des faits", laissant aux tribunaux la responsabilité de décider de la culpabilité et de la sentence.
"Il ne s'agit pas de reprocher aux policiers d'être policiers, mais de déplorer les situations où ils ne sont pas encadrés par une autorité démocratique. Aucune société urbaine n'arrive à  se passer du métier de flic, dont l'objectif est de neutraliser les menaces de la violence privée. Ceux qui rêvent d'abolir la police et ceux qui veulent plutôt voir accroître ses pouvoirs se rejoignent dans le dédain du rôle du droit dans le fonctionnement de la société....Mais les choses sont tellement plus tragiques là  où l'estampille marquant les décrets exécutoires de l'autorité remplace celle des jugements de la cour"...

En guise de conclusion, je vous propose une brève observation du propos de l'auteur sur les alternatives démocratiques, libres et participatives, et le droit.
André Thibault dira : "l'alternative ne porte pas sur le choix entre la convivialité généralisée et le juridisme mais entre ce dernier et la détention arbitraire." C'est là  un propos de poids puisqu'il nous conduit à  penser et à  repenser notre rapport non seulement aux droits et aux lois - en France nul n'est censé ignorer la loi mais quelle importance quand tout est réglé par un seul décret dans le secret de quarante à  soixante personnes - mais aussi et surtout à  l'oppression.

Une plongée dans l'Etat d'urgence français du 8 novembre 2005 nourrira bien des remarques.
Cette mesure qui interviendra comme une réponse aux mouvements sporadiques des banlieues soulèvera de nombreuses réfexions citoyennes opposant les partisans pétitionnaires de la suspension de l'Etat d'urgence aux adeptes de l'ordre et de la police - l'Etat d'urgence sera décrété initialement en 1955 en Algérie, en 1961 à  Paris par le préfet Papon, en 1985 en Nouvelle Calédonie.
Dans le contexte français il est clair que les policiers ont été encadrés par un décret plus que par une "autorité démocratique". André Thibault pensera, comme beaucoup de militants, une "consultation démocratique"; pourquoi ne pas envisager sur une question aussi importante que l'Etat d'urgence (premier pas vers la juridiction militaire et l'Etat de siège de 1955) un Référendum d'Intiative Populaire (RIP) prévu, du reste, dans les programmes électoraux peu avant les plus importantes échéances, un référendum donnant au citoyen l'initiative des Lois. Nous rejoignons, ici, les propos de l'auteur sur le sens à  donner à  l"autorité démocratique". Ce travail de conscientisation au niveau local, régional et européen est, par exemple, très originalement soutenu en France par Etienne Chouard et Yvan Bachaud. (4, 5)

Il n'est donc pas aisé d'appréhender politiquement, juridiquement, médiatiquement, le propos sur "l'alternative" . Toutefois, ce que l'on peut dire, c'est que la "machine à  trancher le lard" autrement dit la "machine à  décret" dont nous parlera André Thibault avec crainte et raison, fonctionne toujours. Là  où l'on croyait la question réglée s'est manifesté le réflexe premier de l'Etat autoritaire, celui de censurer une bonne part des droits actifs ou participatifs aux lois et aux libertés... de censurer le débat national, précisément, sur la sécurité, un acte délibéré lié à  la censure du débat citoyen sur la dette publique (couvert jusqu'en février 2006 - fin de l'Etat d'urgence - par les cendres des émeutiers), et du débat non moins crucial sur l'égalité alimentaire, l'égalité sanitaire, l'égalité sociale dans un système résolument fracturé ; système inégalitaire et élitiste, sectaire, xénophobe qui subit les vagues de privatisation des services publics (AGCS)...

Un citoyen ulcéré par la saisine du Conseil d'Etat pour l'abrogation de l'Etat d'urgence écrira sur le WebLog de Frédéric Rolin : "Un grand bravo à  l'inoxidable juge Bidalou, qui a osé défié une nouvelle fois les pitbulls de la bien-pensance, toujours prêts à  poignarder leur pays dans le dos !
"Bien sûr que cet état d'urgence est justifié. Il n'y a pas de liberté sans ordre. Sinon, c'est la loi de la jungle. "Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère" (Lacordaire)"...

Je vous recommande enfin le très intéressant propos de Frédéric Rolin (professeur de droit à  l'Université d'Evry, directeur du Laboratoire "Etat et Concurrence" et co-organisateur de la saisine du Conseil d'Etat pour la suspension de l'Etat d'urgence les 10 novembre et 5 décembre 2005).
Cette intervention place dans un contexte historique, juridique et sociopolitique particulièrement intéressant la réflexion sur le principe de l'"autorité démocratique" d'André Thibault. Frédéric Rolin parlera de "Coup d'Etat d'urgence" et non d'Etat d'urgence et donnera finalement raison au libre penseur, au sociologue, au juriste et au citoyen actifs.

A la question "Quel est le degré de gravité de la loi sur l'Etat d'urgence et est-elle comparable à  des textes tels que le Patriot Act ?"
Frédéric Rolin répondra :" Il me semble, en cet état de ma réflexion, que la loi sur l'Etat d'urgence présente une gravité bien supérieure à  ce que son application, incontestablement mesurée, peut laisser entrevoir.
"Elle s'inscrit, me semble-t-il, dans une tendance contemporaine très forte de renforcement des pouvoirs de police (pris au sens le plus large) et dont témoigne, sous un autre aspect, la loi sur le bracelet électronique. Sans doute le but de ces mesures (assurer la sécurité et donc la garantie des droits) n'est pas en soi contestable, mais l'idée que des pouvoirs de contrôle renforcés, peuvent se justifier dans des situations de plus en plus nombreuses, témoignent de ce que progressivement, nous sommes en train de glisser d'un régime repressif, à  un régime préventif, pour reprendre le jargon des spécialistes de libertés publiques ou encore de nous acheminer vers une "soft dictature" pour réemployer un des termes que j'avais cité au cours de l'audience devant le Conseil d'Etat. Soft Dictature qui se caractérise par le fait que c'est l'Etat, dans ses attributions policières, qui "sait" ce qu'est le bon et le mauvais usage des droits, qui série les droits en fonction des circonstances et des individus et surtout qui s'ouvre la possibilité de "reprendre la main" des que les circonstances, dont il est le seul juge, lui paraissent le justifier.
"Il est en revanche difficile de faire comparaison terme à  terme avec le Patriot Act ou d'autres législations exceptionnelles car étrangement la mondialisation a plus rapidement gagné le commerce que la garantie des droits. Et les perceptions nationales en matière de droits et de restrictions aux droits demeurent essentielles.
"Si une comparaison pouvait être faite, elle devrait donc l'être en tendance, et ici on serait me semble-t-il amené à  constater que ce que j'évoquais dans le point précédent se retrouve dans d'autres pays occidentaux, même si USA et France me paraissent figurer dans le peloton de tête de l'évolution" (12/12/05). (6,7, 8)

Notes et repères d'actualité

1- "A la réunion trimestrielle de la Chambre de Commerce de Manchester, qui s'est tenue cet après-midi, une vive discussion a eu lieu au sujet du libre-échange. Une résolution a été proposée disant ceci : "Après avoir vraiment attendu pendant quarante ans que d'autres nations suivent l'exemple de l'Angleterre et adoptent le libre-échange, cette chambre estime que le temps est venu de reviser ce point de vue". La proposition a été rejetée à  une majorité d'une seule voix, 21 se prononçant pour et 22 contre. (Evening Standard du 1er novembre 1868) Préface à  l'édition anglaise du Capital, Friedrich Engels, 5 novembre 1886.

2- Jack Mapanje

3- "Art, Vérité et Politique" Harold Pinter

4- Honte aux partis (Etienne Chouard.Yvan Bachaud / PDF)

5- Le réferendum d'initiative populaire, le Sénat français

6- Débat sur l'Etat d'urgence en France &

Commentaires : "L'Etat d'urgence en sursit" L'état d'urgence en sursis

7- liberté de la presse : Sarkozy tacle de Villepin par Didier Daeninckx

8- LSQ,LPSI,LCT : histoire de l'instauration en 3 temps d'un Etat policier numérique à  la française

Chapitre IX et fin
Vacances et loisirs

"Dans la vraie vie il y a tout plein... de mots... qu'on a glissés entre deux lignes en espérant qu'un oeil irait les chercher" (Francine Ruel) (1)

Montaigne écrira "je suis la matière de mon livre" et croira que tout homme est à  l'image de l'humanité, dans ce qu'elle a de vaste, de simple et de complexe, de cohérent et d'incohérent.
Dans cet essai la matière du livre conduit non seulement à  une pensà¾e sociale mais également à  la découverte de soi, tout un chacun, et de l'expérience, des variations de cette expà¾rience, des formes qu'elle prendra dans le flot impétueux de la détermination sociale, des cultures et du temps.
André Thibault traitera tour à  tour de la justice, du droit, des lois, de la police, de la liberté, de la barbarie, de la transmission vivante des connaissances, de l'éducation donc, de la délinquance, des rapports jeunes-adultes, de la propriété, des inégalités, de l'économie marchande, de l'histoire, des sciences, des travers des sciences, du décloisenement du travail, de la santé, de la démocratie participative, de la conscience politique, du rôle majeur des élections, de la vie locale et de ses charges quotidiennes, de la responsabilité civile, de l'entreprise, de l'Etat, de l'universel et des stéréotypes, de la recherche-action, de l'homme, de la femme, des enfants, des parents, de l'amour, de la nature...
Il me paraît évident que ce dernier chapitre "vacances et loisirs" n'en n'est pas moins un moyen pour se mieux connaître autant que pour faire corps au monde social ou à  la nature selon un jeu de variations inédites. L'écoute de la vie sociale comme de la nature est un travail aussi exigeant qu'exhubérant. Il commande au temps, lie et délie les corps et les esprits.

La notion de loisir et de vacance, si présente dans la vie d'un homme, d'une femme ou d'un enfant, demeure sans aucun doute un phare dans la mémoire d'une vie, dans le pas à  pas de chaque instant. Je ne crois pas qu'il y ait un seul philosophe sur cette terre, un seul penseur, musicien ou poète qui n'ait chanté l'importance du "break" dans la confusion de nos vies éruptives. Issus du chaos nous aspirons à  moins de chaos. Par certaines activités nous aspirons à  moins de souffrance. Nous voulons plus d'accès aux droits à  la liberté.

Par le moyen d'une balle lancée conre le mur d'un immeuble, par exemple, il ne reste rien pour cet enfant pauvre que la joie et la griserie de l'instant, l'absorption dans le jeu. Une autre façon pour l'esprit de percer les secrets de la vie, loin des inégalités de la cour de l'école, de la vie stéréotypée du collège ou de la violence de la rue ...
Parfois, bien des adultes lanceront une balle de tennis contre le mur d'un garage du centre ville, des heures durant, pour "remettre les choses en place...", temps du loisir, temps de vacance, temps de re/construction. S'offrir un loisir, une vacance, c'est aussi accéder par d'autres moyens à  l'imagination créatrice ou créative, c'est aussi chercher puis trouver puis évoluer, s'imprégner définitivement de la vertu d'un monde, qu'il soit réel ou imaginaire...

Ne plus attendre aucune sécurité des sanctions que procure la comédie sociale
"L'avons-nous encore en nous, écrira André Thibault , la capacité de respirer à  fond tout l'air que notre sang réclame ? Les vagues respirent si facilement, elles ! Et voilà  qu'entraînés par le son qu'elles émettent, nous faisons de même, lentement, profondément, en rondeur, sans y penser. En ces moments étrangers au métronome et au tic-tac de la montre, le rythme de la mer nous ramène à  ceux d'une vie plus large, tel celui de notre... tiens justement, quelle sensation que tout cet oxygène en nous ! Les gens qui nous voient respirer à  l'unisson de la mer peuvent même découvrir chez nous des parcelles d'humanité habituellement imperceptibles.
"Fin mai, début juin, en Crète et à  Santorini. Partout la gentillesse, le souci d'échanger au moins quelques mots dans la langue les uns des autres, diluant sans pathos un désir discret de reconnaissance mutuelle. Le soleil chaleureux ne brûle pas encore, des touristes sereins profitent de cette disponibilité complice qui précède l'affluence. Certaines expériences sont plus agréables que d'autres à  traduire en écriture !
"A la "taberna", les herbes aromatiques, huiles, citronées, poissons grillés en profondeur, fromages de chèvre, s'incorporent à  nous et laisseront au coeur même de nos cellules la mémoire vivante des lieux. Pendant que la matinée fait place imperceptiblement au plein jour, notre petite voiture patiente au soleil, sans exercer sur nous la moindre pression, sachant d'instinct que la proximité du prochain site rendrait ridicule et absurde toute précipitation. Avoir le temps ! De même, les oiseaux, ver à  la bouche, se permettent des arrêts sur quatre ou cinq arbres différents avant de s'enfoncer dans quelque branchage enchevêtré où leur toute nouvelle progéniture savouera avec avidité la précieuse bécquée. Nos corps ne tiennent plus leur habituel rythme rapide et saccadé, ce qui apaise aussi bien notre activité mentale.
"Comme la mer nous avons tout notre temps... ! les baigneurs s'abandonnent naturellement à  la félécité des vagues.
"S'amorcent pour les uns des retrouvailles, pour les autres des découvertes. On respire le sel, l'iode et les algues. Il est précieux et beaucoup moins futile que ne le prétendent certains moralistes, qu'on redevienne beau. La beauté reprend ses droits. On redécouvre les corps. Une sorte de sensualité fondamentale, substantielle, flotte dans l'air....
"(...) Tant de connivences peuvent se révéler entre les humains et la mer...entre les humains et le monde ! Comment résister à  l'inimitable bleu du ciel méditerranéen, évoqué à  hauteur des yeux par les boiseries qui mettent en valeur les stucs couleur de colombe ? Les verts bleutés des oliviers et des eucalyptus, celui ensoleillé des vignobles, le jaune miroitant des genets et des citrons, les lauriers roses aux endroits les plus improbables et les bougainvillées étalant leurs orgies complexes de teintes éclatantes, avec en arrière-plan l'ocre, le rose et le gris verdâtre des montagnes. Pas étonnant que les merles noirs ne cessent de nous captiver de leurs ingénieuses trouvailles mélodiques et de la richesse de leur timbre.
"Cela peut se produire à  partir du moment ou on n'attend plus aucune sécurité des sanctions que procure la comédie sociale - où on abesoin de s'en remettre à  une sécurité plus profonde, malgré le vertige qui l'accompagne".

Note et repère d'actualité

1- Francine Ruel

2- Couverture de Ses propres Moyens : Sophie T. Rauch , titre : "Buisson ardent", 2002, détrempe à  l'oeuf

Fin de la seconde partie
Christian Pose
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Les notes et repères d'actualité sont disponibles sur linked222
L'essai "Ses propres moyens" est disponible aux Editions Nota Bene/Montréal