arch/ive/ief (2000 - 2005)


Affiche l'article sans les commentaires

L'"affaire Saïdi", un autre éclairage
by Pierre-Yves Lambert Friday July 11, 2003 at 02:10 PM
pyl.lambert@skynet.be

La démission de Fatiha Saïdi doit être expliquée et analysée dans un cadre plus large, et amener certains "nouveaux politiciens" à la réflexion.

L'"affaire Saïdi", un autre éclairage

Fatiha Saïdi a donné une interview à Christian Carpentier, de la Dernière Heure (DH) mercredi matin, le soir même nous nous sommes rencontrés quelques heures pour discuter de choses et d'autres.

Contrairement à mes craintes, elle avait l'air en pleine forme, plaisantant et riant comme d'habitude, s'expliquant et se justifiant, donnant des détails sur certains aspects des jours qui ont précédé sa décision.

En gros, la raison qui l'a poussée à démissionner tant du trio candidat au secrétariat fédéral (SF) que du parti, en-dehors des explications dans le style langue de bois Ecolo sur le "rapport au citoyen" et "du militant au ministre, chacun doit avoir la même légitimité", tourne autour de ces deux phrases reprises dans l'interview de la DH, "Mais quand vous apprenez par exemple que les Bruxellois tiennent une réunion pour évoquer l'avenir d'Ecolo et que vous n'y êtes pas invitée, croyez-moi, cela vous blesse. Vous vous sentez mise à la marge.".

En clair, ce qui s'est passé c'est que Fatiha Saïdi, membre d'Ecolo depuis 1996 et parlementaire régionale depuis 1999, n'avait jamais été directement mêlée aux enjeux de pouvoir interne et avait une vision assez naïve du fonctionnement interne de ce parti dont la devise était "faire de la politique autrement". Elle en avait pourtant eu un aperçu pendant la période où un SF avait été désigné par les militants à la tête du parti sans avoir la confiance de ses ministres et de leur entourage, cabinettards, permanents du parti et un certain nombre de mandataires.

Cet épisode l'a marquée, et elle l'a évoqué à plusieurs reprises mercredi soir, notamment à propos de ce qu'a dû subir un de ses proches, Jacques Bauduin, membre de cette équipe, acculé à la démission par l'"appareil" (ministres-cabinettards-permanents) qui lui avaient rendu la vie difficile et l'avaient humilié pendant son mandat en raison de sa position de soutien critique à la participation gouvernementale d'Ecolo. Fatiha avait de plus en plus d'appréhension, à mesure qu'on se rapprochait de l'élection du nouveau SF: si son équipe l'emportait, ce serait contre la volonté de l'"appareil" et elle serait en butte à d'incessantes attaques, à des sabotages, à des complots de la part du clan qui souhaitait la victoire de l'équipe adverse, héritière de ceux qui avaient demandé la tête de Jacques Bauduin il y a quelques années. Une perspective peu réjouissante, surtout après une grave défaite électorale du parti, aux lourdes répercussions financières et en matière de pertes d'emploi.

Perspective d'autant moins réjouissante que (presque) tous ceux qui comptaient au sein de la Régionale bruxelloise d'Ecolo (équivalent d'une fédération d'arrondissement pour les autres partis), notamment des députés régionaux, collègues et voisins de bureau de Fatiha, soutenaient sans réserve le trio Javaux-Uyttebroek-Brouir et lui faisaient tous les jours bien comprendre, en tant que seule Bruxelloise de l'autre équipe, qu'elle n'aurait aucune légitimité à représenter "les Bruxellois" au cas, bien improbable selon eux, où cette équipe "fractionnelle", "divisive", "partisane d'un retour en arrière" (Paul Lannoye a été l'initiateur et le défenseur fanatique du "ni gauche ni droite", la ligne politique d'Ecolo pendant dix ans) serait choisie par l'Assemblée générale (AG).

Un de ces attentionnés collègues lui a même asséné que la défaite de son trio serait exploitée par le PS, qui irait propager comme explication qu'"Ecolo ne laissera jamais une Arabe accéder à sa direction". D'autres ont émis la "crainte" que l'AG ferait éclater des "clivages ethniques", les militants d'origine maghrébine étant supposés ipso facto soutenir l'équipe Lannoye uniquement en raison de la présence en son sein de Fatiha, ce qui créerait une fracture au sein du parti, surtout dans la perspective des élections régionales de 2004. Le tout assaisonné d'accusations à l'encontre de Paul Lannoye, qui aurait "mangé sa parole" alors qu'il aurait marqué son accord pour un désistement réciproque avec l'ex-ministre fédérale (et membre du SF avant 1999) Isabelle Durant, initialement sollicitée pour faire partie de l'autre équipe de candidats.

Tout ce qui précède a progressivement fait monter la pression autour de Fatiha, qui se sentait de plus en plus isolée au sein de la régionale bruxelloise, accusée de soutenir la division entre adeptes inconditionnels du "bilan globalement positif" de la participation gouvernementale et partisans d'une évaluation très critique de celle-ci.

C'est à ce moment qu'intervient l'épisode de la fameuse réunion bruxelloise pour préparer l'avenir d'Ecolo, évoquée dans la DH. D'après les informations de Fatiha, elle était quasiment la seule parmi les parlementaires régionaux et fédéraux bruxellois à ne pas avoir été informée de cette réunion, et n'en a appris la tenue qu'après-coup. Ce qui augurait mal d'une future collaboration avec ses collègues, en tant que future secrétaire fédérale ou au sein du groupe parlementaire en cas d'échec de son trio.

Une fois sa démission connue de l'extérieur, Fatiha a reçu de nombreux témoignages de sympathie, par e-mail (fatiha.saidi@ibelgique.com) et par sms, de provenances diverses, mais aussi des témoignages d'autres victimes de l'appareil du parti, anciens membres, anciens mandataires, anciens candidats d'ouverture qui tous ont gardé un souvenir amer de ce microcosme où, à les lire, les piranhapparatchiks boufferaient tous crus les petits poissons verts. Un témoignage de même nature, celui de Jean Guy, ancien rédacteur en chef du quotidien socialiste Le Peuple, a d'ailleurs été publié dans Le Soir cette semaine.

Pour avoir moi-même été actif au sein d'Ecolo pendant cinq ans (janvier 93-janvier 98), principalement au sein de la "commission immigration-citoyenneté", mais aussi dans le reste de la structure, j'ai du mal à comprendre l'étonnement de Fatiha Saïdi face aux pratiques internes, et je m'interroge également sur les responsabilités de son entourage au sein du parti, qui a manifestement été incapable de la conseiller et de l'entourer au moment où elle en avait le plus besoin, dans un exercice qu'elle n'avait jamais pratiqué et dont elle ignorait les règles et les pratiques.

Fatiha a été très active depuis 1999, tant au parlement régional qu'à l'extérieur, contrairement à nombre de ses collègues, écologistes ou autres, qui répugnent à se mêler au "peuple" (que le ministre Ecolo Nollet considère avec morgue comme des "mangeurs de boudin-compote" auprès desquels il faudrait "descendre" pour regagner leur confiance) en-dehors des échéances électorales et préfèrent la compagnie de membres du même parti, et surtout de la même obédience au sein de celui-ci. Apparemment, elle a négligé de s'insérer dans ces réseaux internes au parti en privilégiant l'externe, une erreur stratégique qui, de l'avis de nombreux politologues, est typique du personnel politique féminin et explique pour une bonne part sa sous-représentation, comme l'ont encore rappelé l'ex-président du SP.A et candidat-bourgmestre Patrick Janssens en mai dernier au conseil communal d'Anvers ou la sénatrice Mimount Bousakla SP.A dans une interview parue dans Knack cette semaine.

Mais tout cela, l'entourage de Fatiha au sein d'Ecolo ne l'ignorait pas, ou alors il ne s'agissait que d'amateurs et elle a de toute évidence été mal entourée et mal conseillée pour cette campagne électorale interne, comment expliquer autrement qu'elle en soit arrivée à prendre une décision aussi importante pour son avenir politique, désormais derrière elle, à un moment aussi mal choisi, avec des arguments aussi peu crédibles, et d'une manière aussi peu judicieuse.

Cela devra en tout cas servir de leçon pour d'autres, la politique est un jeu dont il faut connaître les règles et les stratégies avant de s'y engager, surtout si on vise haut, sinon la chute en est d'autant plus douloureuse... L'année prochaine auront lieu à Bruxelles des élections régionales où le nombre de sièges disponibles a été augmenté pour des considérations communautaires belgo-belges, et le nombre de candidats à la candidature ne cesse d'enfler, en particulier des Bruxellois d'origine maghrébine ou turque, au point que le seul PS, s'il les retenait tous, pourrait présenter deux ou trois listes complètes !

Ne serait--il pas temps d'en revenir à une saine logique, celle où on postule à un mandat après avoir acquis une expérience politique au sein des structures d'un parti, après avoir fait ses preuves au niveau interne, après s'être fait reconnaître de ses camarades de parti ? Une logique où on commence par un mandat local avant de vouloir accéder sans préparation aucune à un mandat de parlementaire ? Où celui qui entend être candidat à la direction d'un parti a au moins une expérience de dirigeant d'une section locale de ce parti et des responsabilités et arbitrages que cela implique ? Mais la modestie et la patience ne semblent pas précisément figurer pas au palmarès des valeurs de ces "nouveaux politiciens"...

Pierre-Yves Lambert