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BRussels Tribunal: audiences du matin
by mélodie Thursday, Apr. 15, 2004 at 8:15 PM
sweet_melodie@hotmail.com [pictures: Florian & han]

On a ouvert aujourd’hui le deuxième jour d’audience du BRussels tribunal. Les audiences de ce matin avaient pour but notamment une compréhension plus profonde de ce que sont le PNAC (Policy for a New American Century) et ses actions.

Après une introduction de Francois Houtart, le président de la commission, la parole est allée à Jean Bricqmont, professeur de physique théorique à l’ULB, et tenant ici le rôle de procureur.
Il établit d’abord un parallèle avec la guerre du Vietnam. En effet, lors de cette dernière, les experts qui avaient exprimé leur soutien à la déclaration de guerre contre le Vietnam ne voulaient pas à l’époque revenir sur leur décision, parce que, pour eux, un expert ne peut pas se tromper. Reconnaitre qu’on a eu tort, c’est se discréditer. La position des experts sur le cas de l’Irak est la même. Le problème est que si cette guerre ne peut être gagnée, c’est terrible pour les Irakiens. Ils continueront de subir de lourdes pertes, car les USA n’admettront jamais qu’ils avaient tort.
Autre parallèle posé entre ces deux guerres: le nombre de soldats US tués en Irak jusqu’à aujourd’hui excède déjà celui de soldats US morts pendant les trois premières années de la guerre du Vietnam!


Il rappelle aussi que l’on a déclaré la guerre à l’Irak au nom de la démocratie. Le problème est que les personnes ayant pris la décision de cette guerre n’étaient pas en prise avec la réalité du terrain. La plupart n’étaient jamais allés en Irak, et il n’y a pas de rapport établissable entre la vie aux Etats-Unis et celle en Irak. Le problème est que les USA usent du militaire pour propager leurs idéologies à travers le monde.
Le gouvernement américain agite la démocratie comme un bel étendard, cependant, dans les rapports nord-sud, où est elle?Les flux d’argent dirigés vers le nord pour appurer la dette du tiers-monde sont faramineux, tandis que ceux dirigés vers le sud pour payer main d’oeuvre et produits sont dérisoires.
Il attaque également les néo-conservateurs (qui constituent une grande majorité au sein du PNAC). Ces derniers seraient “néo”, mais pas très conservateurs! En effet, dans le sens où ils veulent changer l’ordre mondial actuel, on peut dire que ce n’est pas une attitude très conservatrice! Après la chute du communisme et des nationalismes, il y a eu une restauration d’un certain ordre à l’échelle mondiale, comme il y en eu à l’époque de la chute de Napoléon en Europe. Seulement, l’ordre mondial que les conservateurs veulent établir serait exclusivement à l’avantage des USA.
Monsieur Bricqmont fini son argumentation en concluant que les personnes qui sont pour cette guerre et pour l’établissement d’un ordre mondial comme celui-là défendent peut-être des intérêts financiers, mais qu’ils ne montrent en rien des sentiments humains.


La parole est ensuite donnée à la défense. Tom Barry, directeur de l’”Interhemispheric Resource Center” s’exprime en premier.
La PNAC est accusée par beaucoup de libéreaux et de progressistes de poser un certain nombre de principes et de recommandations. Mais, affirme-t-il, ces principes et recommandations sont basées sur des valeurs universelles, et sur la réalité des relations de pouvoir dans le monde d’après la guerre froide. La Pax Americana est perçue comme un Empire par les critiques, alors qu’elle serait aussi régie par des valeurs morales.
Certains gouvernements occidentaux condamnent les néo-conservateurs, mais, dit-il, leur vision est trompée par leur propre hypocrisie. Il cite la non-intervention européenne lors du fratricide yougoslave.
Il indique aussi qu’en 1996 et 1997, les fondateurs de la PNAC avaient averti qu’un manque de considération des affaires internationales mettait en péril la stabilité et la paix mondiale.
Il admet qu’il est encore trop tôt pour évaluer les conséquences de l’existence de la PNAC et de la politique de Bush, mais il affirme que les initiatives des néo-conservateurs (dont le slogan est “les idées ont des conséquences”) ont permis des réformes favorables aux droits de l’homme au Moyen-Orient...




Intervention ensuite de Jim Lobe (conseiller politique et analyste américain), deuxième défenseur.
Il prolonge ici l’idée de Tom Barry qui citait l’avertissement des fondateurs de la PNAC à propos du manque de considération pour les affaires internationales. Il va plus loin en faisant un parallèle avec l’isolationnisme américain lors de la seconde guerre mondiale. Les néo conservatistes, qui dominent dans le PNAC, considèrent que l’isolationnisme américain est la cause de l’holocauste. Ils le considèrent comme un grand danger, qui ne peut dès lors pas être autorisé. Les USA seraient une force mondiale agissant pour le bien.
Il ajoute qu’il y a une grande confusion à propos du PNAC. Il déclare donc que la PNAC publierait tout, et qu’il n’y aurait pas de notion de confidentialité.Il rappelle également que la PNAC formait la base de la politique étrangère américaine après le 11 septembre.


Enfin, seul “témoin” de la matinée, Geoffrey Geuens, auteur du livre “Tous pouvoirs confondus”, et assistant en information et communication à l’Université de Liège.
Il nous fait ici un bref et laborieux inventaire des principales personnes faisant partie du PNAC, ou ayant régulièrement signé des documents du PNAC ainsi que leurs activités. On y constate des liens flagrants entre ces derniers et les industries du pétrole et de l’armement. Quelques exemples:
-Bruce P.Jackson : Un des quatre directeurs exécutifs du PNAC, directeur du comité amércain du think tank de l’OTAN, ex-officier en charge de l’intelligence militaire pour l’armée américaine, ex-membre du cabinet du secrétariat de la défense, ex-directeur du développement global, et ex-vice-président exécutif de Lockheed Martin (entreprise d’armement), il est dans le noyau de création du comité pour la libération de l’Irak, etc
-Randy Scheunemann : Fondateur et président du comité pour la libération de l’Irak, consultant pour la politique irakienne au cabinet du secrétaire de la défense, membre du comité américain à l’OTAN, ex-président de Mercury Group, une firme de lobbying qui avait comme clients, entre autres, BP america et Lokheed Martin.
-Lewis E.Lehrman et Jeb Bush, qui sont partenaires dans Arbusto Energy, l’entreprise pétrolière des Bush.
-Thomas Donnelly, Dick Ceney, Norman Mineta, Edward C.Aldridge et Joseph W. Ralston, qui ont tous, de près ou de loin, un lien avec l’entreprise d’armement Lockheed Martin.
Après maints exemples comme ceux ci, Geoffrey Geuens a appuyé sa thèse selon laquelle les liens entre états et capitaux ont augmenté qualitativement et quantitativement au cours du temps.




Questions au témoin:

Jean Bricqmont: Dans quelle mesure les liens que vous avez démontré peuvent avoir une influence au niveau des décisions du PNAC? Excluez vous les facteurs idéologiques?
Geoffrey Geuens répond que mettre l’accent sur les liens économiques et sur ceux entre le monde politique et le monde des affaires n’exclut pas la prise en compte des facteurs idéolgiques. L’histoire personnelle des individus a bien sûr une influence, cependant, on constate juste qu’il y a un dénominateur commun entre l’appareil politique américain et le complexe militaro-industriel.

Tom Barry et Jim Lobe interviennent alors en faisant remarquer que lors de l’énumération de personnes, la différence entre les directeurs du PNAC et les signataires occasionnels n’avait pas été établie. Ils avancent même que ce sont surtout les signataires plutôt que les membres qui auraient été mis en avant.

G. Geuens répond qu’il a insisté sur les signataires parce que la structure des think tank est souvent la même. Il conçoit que c’est une instance de réflexion avant tout, et que dès lors, il est logique d’y retrouver du personnel intellectuel à temps plein. Dans ces think tank, on met à l’avant plan les enjeux idéologiques, pourtant, ce sont les industriels qui les appuient...L’image que ces derniers veulent donner de ces think tank est d’être seulement des groupes de réflexion. C’est, dit-il, la division du travail de domination. Il y a plein d’autres organisations, mais le PNAC est un élément en plus de cette recherche de monopole.

Samir Amin, un des membres de la commission, s’interroge sur le danger de trop mettre l’accent sur les relations spéciales entre les think tanks qui élaborent toute les idéologies et les stratégies américaines avec les complexes militaro-industriels. Les intérêts qui dirigent le capitalisme, ce n’est pas seulement le marché des armes, comme ce n’est pas seulement l’intérêt collectif, c’est les deux, avance -t-il.

G.Geuens nie avoir porté une attention particulière à l’armement, mais il s’est juste rendu compte que les membres du PNAC avaient plus particulièrement eu des liens avec le monde militaro-industriel. Il y a bien sûr d’autres rapports, mais c’est surtout dans ces sociétés que se retrouvent les membres du PNAC. Aussi puissante ait été cette organisation, il n’y aurait jamais eu d’intervention sans le monde financier derrière.

Une de dernières questions est posée par Denis Halliday, autre membre de la commission: Y a-t-il aussi des groupements semblables au PNAC en Europe?

G.Geuens répond que, par exemple, il y avait des intérêts français importants en Irak, notament avec Etienne d’Avignon. Il existe des groupements semblable au PNAC en Europe, avec des conseils d’administration où se retrouvent les mêmes personnes, quelques figures intellectuelles, et parfois même syndicales.