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Pour une critique décomplexée de l’ordre mondial

Pour une critique décomplexée de l’ordre mondial

Comme Bertrand Russell et Noam Chomsky, dont il est un grand admirateur, Jean Bricmont veut nous amener à  réfléchir, à  nous interroger, à  remettre en cause nos évidences, souvent façonnées à  notre insu par les médias. « Dans la mesure où je suis scientifique, j’essaie de me baser sur les faits. Des faits bien établis, mais peu connus et qui permettent de faire comprendre pourquoi dans différentes parties du monde, les gens ont des réactions qui nous paraissent incompréhensibles ». Tel est le but de son dernier ouvrage, « Impérialisme humanitaire ». Il cherche aussi à  fournir aux gens des instruments de défense intellectuelle face aux mécanismes de légitimation qu’utilisent les dominants pour faire accepter leurs guerres. L’ouvrage se veut concret et à  ce titre ne s’inscrit dans aucune des « grandes théories » sur le capitalisme ou l’impérialisme.

J.BRICMONT, Impérialisme humanitaire. Droits de l’homme, droit d’ingérence, droit du plus fort ?, Editions Aden, Bruxelles, 2005.

Impérialisme plutôt qu’empire.

Comme l’indique le titre de l’ouvrage, le terme « impérialisme » sera largement présent. « Je l’utilise pour éviter le mot ‘empire’, qui est à  la mode et peu clair ». Il s’agit bien sûr d’une référence à  la théorie de Toni Negri et Michael Hardt, qui déconnecte la domination de toute structure étatique. Le mot impérialisme est aussi « utilisé de façon vague », mais « il présuppose une structure d’Etat » et fait référence, entre autres, au fait « que des Etats envahissent des pays souverains qui se trouvent à  des milliers de kilomètres de chez eux ». La guerre impérialiste est différente des guerres civiles et des conflits frontaliers.

Les coûts de l’impérialisme.

« Dans mon ouvrage, j’en cite quatre ». Passons les en revue :

o Les morts directs, « provoqués par les guerres américaines et les morts provoqués par leurs protégés », Indonésie, Afrique du Sud, Israël, sans oublier la kyrielle de régimes dictatoriaux et de mouvements rebelles réactionnaires qu’ils ont appuyé à  travers le monde ( Angola, Mozambique, Nicaragua, … ). « Tout cela additionné, on arrive à  plusieurs millions de morts ».

o « Tuer l’espoir » ( en référence au titre de l’ouvrage de William Blum « Killing hope », sur les agissements de la CIA à  travers le monde depuis 1945-publié en français par Parangon ). Ce coût-là  « est encore plus problématique. Depuis 1945, les USA se sont opposés à  presque tous les régimes qui voulaient s’assurer un plus grand contrôle de leurs ressources et modifier les rapports de classe qui étaient souvent très féodaux ». Et ce y compris lorsque ces régimes étaient relativement modérés dans leur programme économique. Soulignons que la politique du colonel Arbenz au Guatemala, renversé par un putsch orchestré par la CIA en 1954, n’était pas beaucoup plus radicale que celle des sociaux-démocrates suédois dans les années 30 et du New Deal rooseveltien. Il s’agit donc de « tuer l’espoir », y compris le plus modeste, de changement social. Mais aussi d’empêcher que des régimes comme celui du colonel Arbenz, de Sukarno, du Dr Allende, ne créent « la menace du bon exemple », pour reprendre l’expression d’Oxfam à  propos du Nicaragua sandiniste, qui amènerait des tentatives similaires ailleurs dans le monde. « Ce coût-là  est encore plus important ».

o L’effet barricade. Lorsqu’un individu, comme une société, est constamment menacé, il aura tendance, à  se défendre, souvent de façon maladive et irrationnelle, et à  sombrer dans une forme de paranoïa. D’où une spirale de pertes des libertés. L’auteur nous invite à  prendre cela en compte lorsqu’on aborde le cas de l’URSS ou de Cuba. Autres exemples : après avoir renversé le Dr Mossadegh en Iran en 1953, l’agent de la CIA Kermit Roosevelt a voulu s’en prendre à  la Syrie. Mais celle-ci était une dictature et il échoué. Le Dr Allende qui a voulu respecter jusqu’au bout la légalité démocratique est quant à  lui tombé.

o Les risques pour l’avenir. Il est un fait qu’actuellement « le rapport de forces change à  la défaveur des Occidentaux, mais il reste à  voir comment ils vont s’y adapter ». Plus précisément, depuis 1945, la puissance américaine n’a cessé de décliner. En témoigne le contraste entre la facilité avec laquelle ils ont renversé le colonel Arbenz en 1954 et l’échec dans la tentative de faire chuter Hugo Chavez en 2002. Mais la réponse n’est pas évidente à  la question « de savoir si cela se fera en douceur ou dans le sang ».

Rapports entre Occident et Tiers-monde.

De façon générale, c’est la question de rapport entre Nord et Sud qui se pose. « Il y a un délire en Occident qui fait que les Occidentaux ne savent pas comment ils sont perçus dans le reste du monde ». Ce délire est plus marqué aux Etats-Unis. « En Europe, les défaites des guerres coloniales ont entraîné un sentiment de modestie. Ce sentiment est très faible en Angleterre, mais plus développé en France, bien qu’on tente de le balayer. En témoigne la loi sur les effets positifs de la colonisation ». A cela s’ajoute la dimension économique. Les pays occidentaux ne cessent d’importer des pays du Tiers-monde. Les Etats-Unis, bien qu’ils disposent de réserves chez eux, achètent à  bas prix le pétrole ailleurs. En Belgique, au Borinage et dans le Limbourg, « on a fermé les mines parce que ce n’était pas rentable et on importé du pétrole ou du charbon» car cela revenait moins cher. Nous pouvons nous permettre toutes ces importations à  bas prix car les rapports de force économiques et militaires sont en notre faveur. Nous bénéficions d’ « une plus-value que nous extorquons aux pays pauvres en leur vendant du matériel de haute technologie. Contre cela, on leur achète des matières premières ou du textile à  bon marché ». Mais il n’est pas dit que cette situation va perdurer. Il faut aussi ajouter un autre problème : l’importation des cerveaux. Sur ce point aussi, nous sommes profondément dépendants des pays du Tiers-monde car nous n’hésitons pas à  débaucher leurs plus talentueux scientifiques. « Lorsque je donnais cours aux Etats-Unis, j’avais des classes sans un seul étudiant américain ». Ces rapports de force économiques et militaires sont générateurs de tensions, d’autant plus que des pays comme la Chine et l’Inde ont un grand potentiel d’innovation technologique.

Pouvoir et idéologie.

Tout pouvoir doit se trouver des buts nobles pour se justifier. Aujourd’hui comme hier. C’est le rôle de l’idéologie. La violence des classes dominantes à  l’intérieur des pays occidentaux est légitimée au nom d’une idéologie « économiciste ». Mais pour les guerres impérialistes, c’est l’idéologie des droits de l’homme qui est invoquée. « Ce que je reproche aux défenseurs de cette idéologie, c’est qu’ils disent que les pays du Sud ont de mauvais gouvernements et qu’ils ne respectent pas les droits de l’homme. Cela leur permet de ne pas remettre en cause les rapports Nord-Sud et de ne pas poser les problèmes structurels ». Cette idéologie date de l’époque Carter. Les USA sortent du désastre du Vietnam et leur prestige est au plus bas. Alors que jusque là , l’objectif affiché était d’implanter partout où c’était possible des gouvernements anticommunistes, démocratiques ou non, cette administration va réussir à  faire croire que les droits de l’homme sont, comme le disait Carter, « l’âme de la politique étrangère des Etats-Unis ». Le présupposé de cette nouvelle idéologie est que puisque les droits et libertés sont mieux respectés ici qu’ailleurs, nous avons le droit et même le devoir de faire en sorte qu’ils soient étendus au restant de l’humanité. Pour lever toute ambiguïté, l’auteur précise qu’il n’est motivé par aucune forme de relativisme culturel ou normatif. Le problème porte plutôt sur l’instrumentalisation de ces idées dans le contexte des rapports Nord-Sud, qu’on peut très bien critiquer tout en acceptant les principes de la Déclaration de 1948. Face à  des États stigmatisés par cette idéologie, ses défenseurs ajoutent que « comme ce sont des régimes forts, ils ne peuvent être renversé que par la force. Ils justifient ainsi l’ingérence et la guerre. Par exemple, ils ne condamnent pas les agressions en tant que telles. En Irak, ils condamnent la torture, mais pas le principe de l’agression ». Comme toute idéologie, l’idéologie des droits de l’homme implique de passer sous silence certains aspects de la réalité, comme celui de « la dynamique d’agression » à  l’Å“uvre de la part des Etats-Unis depuis le début des années 90. « Cela ouvre la porte à  toutes les guerres, à  la destruction du droit international. Les gens qui disent que les USA font aussi des choses positives ne veulent pas voir que cela ouvre la porte à  la démesure, au déchaînement de la puissance militaire ».

Mais il est un fait à  épingler : l’invocation à  l’appui de cette idéologie d’une espèce d’internationalisme de gauche, qualifié de « folie » par le professeur Bricmont. « Avec l’échec du régime soviétique, une bonne partie de la gauche a abandonné toute perspective de changement radical. On leur a refilé comme un os à  ronger, pour qu’ils puissent encore se dire de gauche, la défense des droits de l’homme et l’antifascisme. ». La récente manipulation de « Libération » afin de faire passer Chavez pour un antisémite n’est que la dernière tentative en date. « C’est une gauche de bons sentiments, sans perspective historique et sans projet, qui se met à  la remorque de ceux qui ont une dynamique : la mondialisation néolibérale. Je suis très opposé à  cela et je voudrais qu’ils réfléchissent là -dessus». Il ajoute qu’ « il y a quelque chose qu’ils revivent comme la lutte contre le fascisme ». Et, ajouterais-je pour ma part, qui les dispense d’analyser les points communs entre capitalisme néolibéral et impérialisme d’une part, fascisme et extrême-droite de l’autre.

D’autant que leur représentation du fascisme et de cette époque de l’histoire est singulièrement biaisée. Ils se servent de cette période de l’histoire pour stigmatiser la lâcheté de gouvernements occidentaux insuffisamment agressifs à  leurs yeux face à  Hitler, par exemple en 1938 à  Munich. Or Munich n’a pas été tellement une affaire de lâcheté, car « l’anticommunisme y a été déterminant ». Les classes dirigeantes occidentales ont lâché la Tchécoslovaquie car elle était le pays le plus favorable à  une alliance avec l’URSS et ont laissé tomber l’Espagne républicaine parce qu’elle n’avaient aucune sympathie pour ce régime. Bien des réalisations sociales du IIIème Reich provoquaient l’admiration chez elles : la liquidation des partis de gauche et des syndicats, la loi de janvier 1934 faisant basculer le rapport de force en faveur du patronat, … Dans la Belgique de l’été 1940, bien des notables ont tenté l’aventure de la collaboration d’Etat, mais se sont cassés les dents car les Allemands n’étaient pas intéressés. Ce n’est pas de la lâcheté, c’est une adhésion au moins partielle à  certaines conceptions fascistes. Mais ce genre de déformation des faits historiques sert l’idéologie.

L’ouvrage du professeur Bricmont a le mérite de fourmiller d’exemples de ce genre, très utiles pour l’autodéfense intellectuelle. Le tout est auréolé de raisonnements d’autant plus convaincants qu’ils sont logiques.