Sophie25 maart 2006 – 21:55

Ziggy a 21 ans. Il est artiste. Pour lui, le rap c'est tout. C'est son moyen d'expression. Sa façon de « reconquérir sa valeur », selon ses propres mots. Arrivé en situation régulière en Belgique sous l’aile d’un père diplomate, Ziggy bascule dans l'illégalité du jour au lendemain. Malgré lui. Rien ne prévoyait en effet que son père soit rappelé au pays en 2001 suite à  une tentative de coup d'état en Côte d'Ivoire. Il quitte précipitamment le sol belge, avant même d'avoir régularisé la situation de sa femme et de ses enfants. C'est le début d'une longue bataille pour Ziggy et ses frères qui tentent par tous les moyens d'échapper à  cette illégalité à  laquelle ils se sentent totalement étranger. «Je pensais que les illégaux, c'était les autres. Comme les gens qu'on voit à  la télé» dit Ziggy sur le ton de la plaisanterie dans un court métrage sur le thème des sans-papiers réalisé par le Centre vidéo de Bruxelles.

Mercredi soir, Ziggy s'est produit sur la scène des Halles de Schaerbeek où une foule black, blanc, beurre est venue tendre l'oreille aux témoignages de quelques sans-papiers et de ceux qui les soutiennent. Slamés, rapés ou contés, ces morceaux de vie ont percuté les uns et les autres par leur dureté mais aussi par le symptôme alarmant qu’ils incarnent: l'indifférence générale qui semble perdurer autour de la condition de ceux que l’on taxe vulgairement d’ «illégaux ». Mais au fil des prises de paroles, quelque chose de nouveau se produit dans la salle: de l'humanité profonde qui se dégage du regard, des mots et des maux des intervenants et se propage telle une traînée de poudre sur les consciences, chacun semble réaliser que la véritable illégalité, ce n’est finalement rien d’autre que le cloisonnement entre frontières sur cette Terre qui appartient aux Hommes avant d'appartenir aux Etats. Cloisonnement arbitraire et qui marginalise ceux qui sont nés du mauvais côté du mirador espagnol de Gibraltar. « La faute au hasard », voudraient nous faire croire les juges partiaux du destin de ces hommes et femmes ayant bravé les obstacles les plus rudes en quête d’une vie meilleure. La faute à  la politique européenne de démission envers les pays du Sud, selon les spectateurs, à  la fois émus et exaltés par les propos des orateurs. Dans la foule, une jeune femme qui se presse devant la scène s'exclame : « J’espère que ça vous fait du bien de partager ce moment avec nous. Quoi qu’il en soit, sachez qu’à  nous, ça nous fait un bien fou. »

A mi-parcours de cette soirée à  laquelle présidait l'espoir, Ziggy a offert à  son public deux titres issus de son maxi cd « Illégal malgré moi ». Deux textes poignants, chantés la rage au coeur et qui dévoilent le franc parler de cet artiste « irrégulier » qui en expliquait le contenu avec une lucidité et une sérénité digne de ses aînés. Pie Tshibanda, qui parraine Ziggy aux côtés de la Fondation Jacques Gueux, du MRAX, de l'association Lézarts Urbains, etc., a d'ailleurs manifesté son soutien aux démarches artistiques de Ziggy par sa présence. Rappelons que dans son spectacle « Un fou noir au pays des blancs », Pie Tshibanda abordait lui-même la complexité de la procédure d'asile à  la lumière de son vécu de réfugié politique congolais.

Après le spectacle, la soirée s'est poursuivie par un échange ouvert entre Ziggy, les différents intervenants et le public sous une chape d'émotion, palpable. Le jeune rappeur s'est alors exprimé sur les objectifs de ses démarches artistiques. Pour lui, il ne faut pas parler en terme de papiers mais de valeur. « C'est pas un problème de papiers » dit-il avec conviction. « Ce qui importe c'est que je puisse m'exprimer via la valeur qui est la mienne: la valeur artistique. Ma solution à  moi, c'est la musique, c'est ce qui me permet d'exister. » Et quand on soulève la question d'un éventuel retour aux pays de ses origines, il répond sans hésiter: « Mon identité est multiple et ma place est autour du monde. Mais la Belgique est un passage. Au jour d'aujourd'hui, je représente la Belgique, tout ce que je fais, c'est en rapport avec la Belgique. »

Les démarches pour obtenir la régularisation de sa situation sont en cours mais rencontrent une difficulté majeure: l'impossibilité d'invoquer la « circonstance exceptionnelle ». L'avancement du traitement de son dossier dépend donc de la bonne volonté des autorités en la matière et du Ministre Dewael dont la politique du « cas par cas » suscite l'indignation de toutes parts. Ziggy est néanmoins confiant. Les actions menées par l'UDEP (Union pour la défense des sans-papiers) conduisent en effet actuellement à  de nouvelles négociations pour l'amélioration des conditions de régularisation des sans-papiers.
Enfin, en attendant ce jour où le critère d’Humanité viendra précéder tout autre critère de définition de l'identité, l'on peut souhaiter à  Ziggy de toucher un public de plus en plus nombreux par ces mots bruts desquels il puise sa force. Et que sa démarche contribue à  secouer les consciences sur la question de la fermeture des frontières au Sud que l'Europe a rendu effective il y a trente ans et qui témoigne de la construction d'une forteresse Europe qui se fait dans l'ignorance des plus démunis.

Infos utiles :
* Pour obtenir des informations sur Ziggy, contactez la Fondation Jacques Gueux au 02/538 15 12 ou envoyez un email au www.lezart-urbains.be
* 27/03/06: Débat UDEP-Ecolo-PS-CDH à  19h au Théâtre Lumen, Ch. de Boondael, 36 à  Ixelles. 3 euros l'entrée – gratuit pour les « sans ».www.udep.blogspirit.com