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L’impérialisme humanitaire trois ans après l’agression contre l’Irak

L’impérialisme humanitaire trois ans après l’agression contre l’Irak

Voilà  bientôt trois ans, les Etats-Unis entamaient une guerre d’agression contre l’Irak de Saddam Hussein. Et ce en dépit d’un immense mouvement de protestation à  travers le monde. Qu’en est-il aujourd’hui ? Nous avons tenté d’établir un bref état des lieux de l’impérialisme américain avec le professeur Jean Bricmont ( UCL ), auteur de « Impérialisme humanitaire » et opposant aux nouvelles guerres coloniales.

Causes d’une guerre.

Les phénomènes humains sont complexes et hétérogènes. Par exemple, pour comprendre les causes d’une guerre comme celle en Irak, il faut démêler les causes immédiates des causes plus profondes, qui s’inscrivent plus dans la longue durée. « Il faut distinguer les causes immédiates et celles à  plus long terme », nous explique Jean Bricmont. « Les acteurs qui ont poussé à  la guerre sont le PNAC ( Project for the New American Century ) l’alliance entre les chrétiens fondamentalistes et les sionistes ainsi que des libéraux impérialistes, imbibés d’idéologie des droits de l’Homme ». Le PNAC est un des principaux cénacles néoconservateurs dans lequel on retrouve William Kristol, Paul Wolfowitz ( ex-numéro 2 du Pentagone sous le premier mandat Bush ) ou encore Douglas Feith. Ses publications ont été signées par des gens comme Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Richard Perle et Robert Kagan ( éditorialiste au « Washington Post » ). L’idée-force défendue par cette mouvance est une conception impériale du rôle de l’Amérique dans le monde « qui doit, comme le souligne le professeur Bricmont, remplacer l’empire britannique ».

La greffe entre cette conception primo, le messianisme de la droite religieuse secundo et l’idéologie des droits de l’Homme tertio, alimente un nationalisme chauvin de grande puissance. Les Etats-Unis, loin d’être une construction politique nouvelle ou unique en son genre, sont un Etat-nation classique. Il est donc faux d’opposer, comme le fait BHL dans son dernier livre, la prétendue sérénité du patriotisme américain à  la bête hideuse des nationalismes européens. Si les seconds sont des monstres politiques, le premier en est un aussi. « Pour moi, le nationalisme est toujours dangereux. Le nationalisme de pays opprimés, s’il peut avoir un contenu émancipateur, contient aussi des risques de fanatisme. En ce qui concerne le nationalisme de grande puissance, c’est le plus dangereux. Il doit être contenu, soit par un système où il y a des puissances plus ou moins égales, soit par un sentiment de modestie qui résulte de défaites, comme l’Allemagne après la seconde guerre mondiale et la France après l’Algérie. C’est beaucoup moins le cas en Angleterre. Je défends une analyse proche de celle de Bertrand Russell, qui fait intervenir des facteurs psychologiques dans l’analyse historique. Le sentiment d’appartenance à  un groupe est quelque chose de très fort chez l’être humain, tout comme les croyances en des choses irrationnelles. Cela donne le nationalisme et la religion, qui jouent un rôle extrêmement important, à  mon sens, en dehors des causes purement économiques». Concernant les milieux d’affaires, « bien sûr, il y a le pétrole car tout impérialisme a un background, une dimension économique. Mais les milieux d’affaires me semblent se comporter davantage en profiteurs qu’en fauteurs de guerre. Lorsqu’on lit la littérature des compagnies pétrolières, ils étaient réticents face à  cette guerre car ils craignaient pour la stabilité de la région. Bien sûr, une fois arrivés en Irak, les Américains ont instauré un régime ultralibéral. C’est leur idéologie. Ils ont fait cela partout où ils peuvent le faire. Mais cela ne veut pas dire que ce soit çà  la cause immédiate de la guerre. ». La grande guerre humanitaire du Kosovo n’a-t-elle pas eu pour conséquence de lancer le processus de démantèlement du secteur public en Yougoslavie ?

Un double discours de justification.

« Comme je le souligne dans mon livre, il y a deux sortes de discours : l’un pour la population et l’autre pour les intellectuels. La population a assez de bon sens pour comprendre que cette ingérence humanitaire est une vaste blague et que si l’on voulait vraiment faire quelque d’humanitaire, il y aurait moyen d’utiliser autrement tout cet argent destiné à  financer les guerres ». Pour anesthésier ce bon sens, on utilise un discours de la peur, centré sur la guerre antiterroriste ( war on terror ) et les armes de destruction massive. « Pour les intellectuels, on parle d’ingérence humanitaire ». Par exemple, « en Angleterre, il y a eu les commentaires de la presse qui affirmaient que les armes de destruction massive n’étaient pas importantes dans cette guerre, mais que le fait de renverser Saddam Hussein était déjà  en soi une immense justification. En France, très peu de gens étaient ouvertement pour cette guerre, mais la plupart des intellectuels y étaient très faiblement opposés. Ils reconnaissaient aux Américains le mérite de vouloir renverser Saddam Hussein, donc ils ont intériorisé ce discours de l’ingérence humanitaire. Actuellement, avec l’Iran, on parle non seulement des armes de destruction massive, mais aussi du régime, que nous sommes supposés avoir le droit de changer ».

Ce double discours dénote, sociologiquement, d’un élitisme profond. « Les intellectuels pensent que la plupart des gens sont trop amorphes, trop égoïstes pour aller se sacrifier pour une soi-disant noble cause ». Donc rien de tel que de leur marteler que l’Apocalypse aura lieu après la prochaine fournée de publicités.

Commentaire sur l’affaire des caricatures.

« Le problème de ces cartoons, affirme Jean Bricmont, est qu’ils provoquent des réactions du monde islamique afin d’entraîner une réaction en retour en Europe. Ce qui est énervant, c’est la diffusion dans une large partie de la presse – ce qui pose la question des réseaux de connivence – et la posture hypocrite au nom des principes de laïcité et de liberté. Comme si la laïcité était en danger ici ! Là -bas, bien sûr, c’est différent. Les laïcs ont dû souffrir. Je suis moi-même très laïc. Mais il y a aussi un contexte malsain dans lequel ces cartoons interviennent. Ce contexte est celui de l’occupation israélienne en Palestine, de l’occupation américaine en Irak et de soutien de nos gouvernements à  des régimes que la plupart des gens au Moyen Orient n’aiment pas. Si j’étais musulman, j’aurais l’impression que l’Occident est en guerre avec l’Islam. C’est un état d’esprit malsain qui domine dans nos relations avec cette partie du monde, une nouvelle guerre froide. Et ces cartoons font partie de la propagande de guerre ».

Le professeur Bricmont souligne aussi un problème assez aigu dans le champ intellectuel français. « Auparavant, il y avait un mouvement organisé, le Parti Communiste Français, qui défendait une ligne, certes fort critiquable, mais qui au moins offrait une réflexion opposée à  la pensée dominante. Aujourd’hui, tout est tenu en main par des faiseurs d’opinion, style Philippe Val ou Bernard-Henri Lévy . Il n’existe pratiquement aucune alternative intellectuelle systématique. »

Une domination crépusculaire.

Il est cependant clair que nous ne vivons ni l’aube, ni le zénith mais bien le crépuscule de la domination américaine et occidentale. Les indices en ce sens sont nombreux.

D’abord, « beaucoup de gens aux USA sont contre la guerre, même dans les milieux dirigeants. Ils ne s’y sont peut-être pas opposé lorsqu’a eu lieu l’agression, mais ce sont ce que j’appelle des ‘impérialistes rationnels’ qui constatent qu’elle est une folie et une catastrophe. Bush est contesté par d’importantes fractions du spectre politique officiel, établi. A la gauche de celui-ci, qui n’est pas la gauche du style Noam Chomsky, il y a le vieux Jimmy Carter, qui réclame le retrait des troupes d’Irak car cette guerre a été ‘une erreur’ depuis le début. A l’extrême droite du parti républicain, il y a William Buckley qui estime que cela ‘n’a pas marché’ et qu’il faut en tirer les conclusions et partir d’Irak. Il y a aussi ceux qui réclament une autre gestion de la guerre, comme l’International Crisis Group. La récente diffusion de la cassette montrant Bush au courant du danger de l’ouragan Katrina et se comportant de façon ridicule est révélatrice de la volonté d’une importante part de l’establishment de se débarrasser de son administration. Les prochaines élections auront lieu en novembre. Les démocrates eux ne font pas trop de bruit car ils espèrent récolter les fruits du discrédit de Bush, sans réellement s’opposer à  sa politique, stratégie que je trouve particulièrement cynique. Pour l’instant cependant, il n’y a pas de troubles politiques internes, à  la différence du Vietnam ».

Ensuite, « en Irak, ils ne contrôlent plus la situation. Ils se limitent au ravitaillement des bases, dans lesquelles les soldats restent la plupart du temps. Ils n’ont pas les moyens d’envoyer des troupes dans les rues. En effet, s’ils le faisaient, ils seraient victimes d’attentats. Ils ne contrôlent presque rien. Les généraux le savent et en sont mécontents. Le général Britannique Rose a protesté ouvertement contre Blair. Il affirme le faire parce que celui-ci a menti. Mais il y a eu des mensonges tout aussi gros durant la guerre du Kosovo. En réalité, s’il proteste, c’est parce que la guerre n’a pas marché ». De toute manière, dans une perspective de moyenne durée, « leur domination sur le monde s’affaiblit depuis 1945. Certes, à  l’époque, il y avait l’Union soviétique. Mais en dehors du bloc soviétique, ils contrôlaient beaucoup mieux les choses qu’aujourd’hui. Au fond, la guerre du Vietnam a été pour les Américains ce que la première guerre mondiale a été pour les Allemands. Ils ont été vaincus, mais cela ne les a pas amené à  se remettre en question, à  devenir plus modestes. Au contraire, dans les milieux dirigeants, elle a stimulé un sentiment de revanchisme ». On peut souligner que dans l’Allemagne des années 20 comme dans l’Amérique d’après la guerre du Vietnam, deux clichés ont souvent circulé : la tendance à  incriminer la guerre comme si elle était une entité extrahumaine, une façon commode de disculper les USA et leur politique étrangère agressive ; l’idée que les militaires ont été poignardés dans le dos par les civils ( hommes politiques, mouvement pacifistes, … ). De tels clichés expriment souvent très bien un sentiment de revanchisme.

En troisième lieu, il faut citer « la volonté d’indépendance de nombreux dirigeants latino-américains, comme Kirchner, Lula et Chavez. Ils ne sont pas forcément très à  gauche, mais ils veulent être indépendants. C’est un mouvement qui n’existait pas à  l’époque de la fin des dictatures en Amérique Latine».

En quatrième lieu, il y a le déficit et ses conséquences économiques. A la fin des années 70, les Etats-Unis étaient un Etat globalement créancier. Depuis Reagan, ils ont un des pays les plus endettés de la planète. « Paul Craig Roberts, ancien assistant du secrétaire au Trésor sous Reagan, a récemment attaqué la guerre en Irak car elle accroît le déficit des finances publiques et le chômage ». Dans un article daté du 1er mars 2005 et intitulé « The Coming End of the American Superpower »( disponible sur http://www.counterpunch.org ), il souligne que les USA sont en train de perdre leur capacité à  créer des emplois pour les classes moyennes. « Il attaque, souligne Jean Bricmont le fait que des milliers de diplômés ne trouvent pas d’emploi. ». Roberts ajoute que pour cette raison les USA ne savent plus créer d’emplois de quelque sorte que ce soit. « Le seul domaine, ajoute Jean Bricmont, où ils créent des emplois pour l’instant est le domaine des services. Mais plus dans celui de la production. Si encore, ils se rattrapaient en créant des emplois dans le secteur des hautes technologies, le problème serait atténué, mais ce n’est pas le cas. Et l’Inde et la Chine, qui ont un potentiel énorme en la matière, ne font pas de cadeaux ». Les Etats-Unis risquent d’être rattrapés par ces deux pays émergents dans le domaine des technologies. A cela, il faut ajouter le fait qu’ils font financer une grande part de leur déficit par Pékin ( par Riyad aussi d’ailleurs ) via le système des bons du Trésor, ce qui illustre d’autant mieux leur dépendance.

Enfin, il y a « la disproportion entre leurs ambitions démesurées et les moyens dont ils disposent. Structurellement, ils ont vis-à -vis de la Chine une mauvaise politique. La Chine avance pas à  pas, économiquement et diplomatiquement. Les USA font de grandes manÅ“uvres et veulent confiner les Chinois à  un rôle régional ». Cela rejoint la doctrine d’Henry Kissinger sur les flics locaux, comme Israël au Proche-Orient. « Les Chinois rigolent car ce sont des déclarations vides ». Et révélatrices. « Le seul domaine où ils sont imbattables, c’est la fabrication des bombes atomiques. Et je suis effrayé à  l’idée qu’on puisse en arriver à  les utiliser».

Et l’Europe ?

« Le problème de l’Europe est que nous sommes divisés sur l’attitude à  avoir vis-à -vis des Etats-Unis et que nous sommes lâches vis-à -vis d’eux. Contrairement à  ce que l’on pourrait croire, les événement du printemps 2003 n’ont pas ouvert un processus menant à  plus d’indépendance de l’Europe vis-à -vis des Etats-Unis ». Différents faits appuient cette affirmation. Les Belges ont refusé de prendre part directement à  l’agression contre l’Irak, mais ils ont laissé passer du matériel militaire dans le port d’Anvers, alors qu’ils n’étaient juridiquement pas obligés de le faire. En effet, ils l’auraient été si l’opération contre l’Irak avaient eu lieu dans le cadre de l’OTAN, mais ce n’était pas le cas. En outre, les controverses qui secouent le monde politique à  Berlin pour l’instant font apparaître qu’il y a eu au moins une coopération minimale entre services de renseignements allemands et armée américaine lors de la guerre en Irak, alors que le gouvernement Schröder avait officiellement pris position contre. « Tout cela ne m’étonne pas. Cela illustre simplement le fait que nous n’avons pas de réelle indépendance ».

Plus récemment, il y a l’épisode tragicomique de la visite d’Anne-Marie Lizin à  Guantanamo. En tant que rapporteuse de la commission des Droits de l’Homme de l’OSCE, elle a effectué une visite dans cet établissement pénitentiaire qui existe en dehors de toutes les normes du droit international. 500 prisonniers y sont enfermés, sans protection juridique. 300 d’entre eux ont eu leur identité livrée à  la justice américaine, suite à  une décision de tribunal. Seulement quatre d’entre eux sont inculpés de quelque chose. Mais cela ne semble pas vraiment poser problème. Pas plus que le fait que le Pentagone a lui-même reconnu que seuls 8 % des détenus pourraient avoir eu des liens avec Al-Qaïda. Ou que le fait que 86 % ont été livrés aux Américains contre des primes. Pour une réfutation plus argumentée, nous renvoyons à  l’article de Javier Rodriguez, disponible en espagnol sur http://www.insurgente.org et en français sur http://www.michelcollon.info sous le titre « L’accommodante A-M Lizin au secours de Guantanamo ». Outre ces questions, une autre se pose : comment cela est-il perçu par le monde musulman ?

De façon générale, cela pose la question du degré d’indépendance de l’Europe à  l’égard du modèle américain. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est pas très élevé. L’impératif de guerre contre le terrorisme n’est pas remis en cause. Il offre la commodité de ne pas poser nombre de questions, à  commencer par celles du terreau de ce « terrorisme » et des problèmes structurels dans les relations Nord-Sud. De surcroît, depuis près de 25 ans, le consensus néo-keynésien qui avait permis de pratiquer des politiques sociales-démocrates a été remplacé par un consensus néolibéral. Les systèmes sociaux relativement favorables dont nous disposons sont en train d’être progressivement laminés. Et il y a ce discours, certes tant soit peu mis en sourdine mais encore bien là , sur la nécessité de rattraper notre retard sur les USA. Les « Non » au projet de Constitution européenne en France et aux Pays-Bas montrent qu’il y a une protestation contre cette Europe de technocrates néolibéraux qui veulent soit que nous restions dans le giron de l’OTAN, soit que nous devenions une Amérique-bis. Les mobilisations contre le projet de directive Bolkestein donnent une autre lueur d’espoir. Les défaites de l’Europe dans les guerres coloniales ont entraîné « un sentiment de modestie » comme le dit le professeur Bricmont qui est une petite lueur pour de meilleures relations avec les pays du Sud. Mais elles demeurent encore très faibles.