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Oser parler !

Oser parler !

Mardi 15 octobre 1996, il est 9 heures et l’équipe du matin de Carnoy, à Wondelgem près de Gand, se trouve dans le réfectoire. Des informations affluent selon lesquelles plusieurs entreprises ont arrêté le travail suite au dessaisissement du juge Connerotte du dossier des enfants disparus. D’autres entreprises de Gand ont déjà téléphoné pour le signaler.

Une situation inhabituelle ! Le syndicat doit-il soutenir ces actions ? Et si oui, comment ? Nous décidons de parler à tout le monde dans le réfectoire et de décider ensemble ce que nous allons faire. Dans la tradition syndicale de son équipe, Frank exprime clairement le sérieux de la situation par ces mots : d’abord, oser parler ! Il deviendra par la suite la cheville ouvrière de comité blanc « Recht op recht1 » qui est né symboliquement avec la grève pour Connerotte.

En fait, on n’a plus beaucoup parlé pendant la pause. Les collègues des autres sections ne trouvaient plus nécessaire de discuter. Ils ont immédiatement formé des piquets devant la porte de l’entreprise. La télévision régionale était en route pour prendre des images des autres entreprises et tous les ouvriers se proposaient pour donner leur avis. Aussi des dizaines de soudeurs d’entreprises sous-traitantes venues de France. Eux aussi suivaient l’affaire des enfants disparus au jour le jour, les révélations, l’enterrement de Julie et Mélissa, d’An et d’Eefje. Le délégué principal, Henri, réfère explicitement à des nouvelles à propos de snuff movies qui ont été découverts dans le nord de la France.

Carnoy a un nouveau chef du personnel. Ou plutôt un HRM (Human Ressources Manager). Désigné pour liquider la force syndicale après la grève de six semaines en 1994. Nous avions à l’époque dû abandonner une partie de notre prime de fin d’année. Par contre, grâce à notre grève, nous avions pu empêcher les licenciements. La direction était sur la défensive depuis lors et avait des gros problèmes pour mettre en place le programme mondial d’économies imposé par le groupe Mannesmann.

« Où est la concertation sociale », crie le nouveau HRM au piquet. Pour beaucoup, c’est une première prise de connaissance avec ce nouveau personnage. Et on peut dire que cela commence plutôt mal. Il essaie de diviser le piquet, et passe immédiatement aux menaces. Freddy, délégué suppléant, n’a pas la langue en poche : « avec tout ce qui passe maintenant avec la justice, c’est pas avec vous que nous devons négocier, mais à Bruxelles ». Bingo ! Le manager des ressources humaines n’a aucune idée de l’impact que la grève de Volkswagen Bruxelles a eu sur le reste du pays. C’est la première grève de masse en Belgique contre une affaire de justice civile. Droit social et droit civil, justice sociale et droit des citoyens, contrôle ouvrier et contrôle citoyen, tout se mélange et se bouscule. Sans beaucoup de mots. Mais avec d’autant plus de force.

Depuis les révélations sur les crimes de Dutroux par Connerotte et Bourlet, l’affaire des enfants disparus est devenue une matière de discussion politique chaque jour à l’usine. Tout comme les autres entreprises, nous avons aussi observé une minute de silence lors de l’enterrement de Julie, Mélissa, An et Eefje. Une secrétaire de direction a lancé, indignée : « Un gouvernement ne tombe pas sur des choses pareilles en Belgique! ». Un collègue wallon a amené la pétition de l’asbl Marc et Corinne. Sa mère exploite un café à Mons et elle était occupée à faire circuler cette pétition. Notre collègue précisait à chaque fois : « Ce n’est pas pour la peine de mort ! ». La présence d’ouvriers de Mons, Charleroi, Seraing, Leuze, etc. a suscité l’attention et l’intérêt de beaucoup d’ouvriers flamands. Je me rappellerai toujours l’anecdote suivante. Le jour de l’enterrement en août 1996, nous avions décidé entre nous d’arrêter les machines à midi. Et à midi, tout bruit s’arrêtait. Sauf à une machine. Un collègue turc continuait à travailler, avec ses bouchons dans les oreilles contre les 100 décibels de bruit habituel. Après coup, je lui ai demandé pourquoi il ne s’était pas arrêté. « Je ne suis au courant de rien ». Il ne savait rien de l’affaire des enfants disparus. Il n’en savait vraiment rien et je lui ai tout expliqué. Cette anecdote en dit long sur l’isolement dans lequel vivent parfois des collègues de la communauté immigrée. Cela dit aussi beaucoup sur le caractère totalement inorganisé, non structuré des événements qui ont traversé les entreprises en 1996.

Volkswagen a fait grève le lundi qui a précédé la marche blanche, qui ne s’appelait pas encore marche blanche à ce moment-là , mais marche pour la vérité. Seul Volkswagen a fait grève trois jours. D’autres entreprises, comme la nôtre, ont fait grève une heure, deux heures. Chaque jour, le journal Het Volk publiait la liste des entreprises qui avaient fait grève. Là où les délégués et les militants syndicaux organisaient la discussion et les actions, les grèves se sont passées de manière calme et disciplinée. Aux secrétariats syndicaux, parvenaient des avis contradictoires : participer, ou empêcher les actions.. Personne ne sait exactement quelle est la consigne. Un secrétaire à qui on demande son avis répond qu’il n’y a pas que sur les affaires d’enfants disparus que toute la vérité n’est pas faite. Une réponse qui sera reprise chaque heure à la radio et qui décidera beaucoup d’entreprises à faire grève à leur tour. Parfois, les actions dégénèrent un peu, par manque d’encadrement et sous l’effet de la boisson, comme à Volvo cars à Gand, où des gens seront licenciés pour cela !

Nous sommes presque dix ans plus tard et il n’y a encore eu aucune étude universitaire sur ce mouvement exceptionnel. Les journalistes ont estimé à 600.000 le nombre de grévistes de cette période. Le double de la marche blanche elle-même. Et aussi un autre public que la marche blanche Car la majorité des gens qui ont participé à la marche blanche n’avaient pas fait grève. Et la majorité des grévistes ne voyaient pas dans la marche blanche une perspective pour leur action. Une grande partie des délégués de gauche en Wallonie étaient carrément contre et des entreprises comme Clabecq n’ont pas fait grève avec Volkswagen, ce qui a laissé des traces encore jusqu’à aujourd’hui. Qui sait encore que dix jours après la marche blanche, Michel Nollet annonçait au grand étonnement de tout le monde une grève générale contre la norme salariale, vu la pression des événements et du climat dans le pays qui semble avoir l’aire « pré-revolutionnaire ». Mais ce n’est pas Nollet qui a sauvé le régime, mais Albert qui a été poussé en avant par Dehaene pour symboliser la légitimité tant contestée des institutions du pays.

Il était donc question à l’époque d’un mouvement double : un mouvement des ouvriers dans les entreprises pour Connerotte, et un mouvement des citoyens dans les rues de Bruxelles pour les parents des enfants disparus. Les deux mouvements se sont rejoints dans la semaine du 14 au 20 octobre 1996. Ils avaient pour tous dirigeants six famille et une délégation syndicale de la plus petite usine européenne du plus grand constructeur d’automobile d’ Europe, en plein milieu de la capitale de l’Europe. Les deux mouvements se déroulaient l’un à côté de l’autre, sous certaines aspects l’un contre l’autre. Tout le monde par exemple soutenait les parents, mais tout le monde n’était pas opposé à l’arrêt spaghetti. Et ceux qui s’opposaient à l’arrêt spaghetti ne reconnaissait pas nécessairement les parents comme leurs représentants.
Déjà avant l’arrêt spaghetti, une discussion s’était développée autour des parents sur la formulation du mouvement, vu l’énorme sympathie qui grandissait parmi la population. Le résultat de cette discussion fut à la base du réseau des comités blancs. Ce réseau a formé un troisième mouvement, qui s’est développé entre la marche blanche et fin février 1997 et qui a amené dans la rue près de 200.000 personnes lors de marches locales. Dans certaines communes de Wallonie, plus de la moitié de la population a marché en terminant sa marche par une séance de micro ouvert, avec ou sans la participation des parents.1.2 million de personnes concernées en quatre mois de temps. Pour souligner l’importance de cette période, et aussi sa complexité, il faut ajouter un quatrième mouvement, qui n’aurait jamais connu une telle ampleur sans la marche blanche, c’est la lutte de Clabecq et la marche multicolore du 7 février 1997. Le rapport de la commission Dutroux et la marche contre les menteurs à Namur ferment symboliquement ces semaines qui ont commencé avec les grèves pour Connerotte qui changeront la politique belge. Sans doute ! Mais qui ont aussi, jusqu’à ce jour, provoqué pas mal de confusion dans la gauche.

Carnoy a été un des endroits où tous ces mouvement en Belgique ont trouvé leur place au sein de l’entreprise. A la fois au sein de l’entreprise, en dehors de l’entreprise, et à partir des expériences d’une demi-douzaine d’ouvriers, militants syndicaux ou non, sans le soutien structuré d’associations, de mouvements ou de structures existants. La prise en main de ces événements n’a pas affaibli ou neutralisé l’action syndicale. Au contraire, chez nous à Carnoy, elle a approfondi et renforcé l’engagement syndical d’une série de travailleurs, à travers le comité blanc « Recht op Recht » né dans l’usine. Elle a donné une dimension politique à l’action syndicale. La politique, la justice, les problèmes des victimes, les abus sexuels, tous ces sujets étaient discutés. C’est à ce propos que Frank disait : il faut oser en parler. Oser parler comme condition pour ouvrir les frontières de l’usine, et y faire entrer la rue, les problèmes globales de la société et de l’Etat, la classe travailleuse dans son ensemble et la politique.

Lors de l’annonce des premiers comités blancs à Bruxelles, Jacques Guilmot, délégué syndical chez Volkswagen-Forest, disait : « Ceci est le mouvement de l’homme TOTAL. L’homme qui n’est pas saucissonné en rondelles d’ouvrier, citoyen, parent, etc. ». Frank et moi-même avons assisté à cette activité fin novembre.

Mais revenons-en à la grève de Carnoy. A midi, le fax déroule un communiqué de presse de la direction de Carnoy : la direction soutient les actions des ouvriers et témoigne de sa compassion avec les parents des enfants disparus. Sans grands mots ! Notre HRM se décompose littéralement. Cette expérience m’a éclairé sur la façon de s’y prendre pour la poursuite du mouvement. Le résultat s’est trouvé publié dans le journal « De Morgen » du lundi qui a suivi la marche blanche. L’article que j’avais envoyé au journal portait sur la question de savoir quel était le programme du mouvement et comment il devait se poursuivre. A mon grand étonnement, tout l’article a été repris, à part le titre et un passage. Le titre proposé « Contrôle d’en bas » avait été remplacé par « Contrôle de la société ». Le passage retiré concernait la poursuite du mouvement contre l’arrêt spaghetti, si nécessaire par la grève générale. L’essentiel des idées venait des expériences dans l’usine, mais aussi des discussions avec les syndicalistes de Volkswagen : « C’est le contrôle ouvrier dans toute la société », tel était le point central la théorisation de leurs actions. Les événements ont été traduits en termes syndicaux pour le faire pénétrer dans l’entreprise. Mais l’introduction de ces événements dans l’entreprise a donné un caractère politique aux mouvements comme aux mots. Oser lutter et oser parler sont deux concepts qui vont de pair, mais l’accent reste sur oser lutter : d’abord l’action, ensuite le programme. La classe travailleuse s’est manifestée comme classe dans une question éminemment délicate de la démocratie, la justice. La justice était vue comme une affaire de classe, car des enfants d’ouvriers , comme Julie, Mélissa et Loubna,An, Eefje, Kim et Ken recevaient moins de protection qu’un enfant de riches, comme Anthony Declercq.

L’absence presque totale des intellectuels dans ce mouvement relève de cette question. Les intellectuels, qui sont des professionnels des mots, ont refusé de fournir des mots pour un programme du mouvement. De simples gens, qui n’ont pas choisi le rôle qu’ils devaient jouer, comme les parents des enfants disparus, n’ont pas attendu d’analyses et ont donné forme à leur compassion et à leurs idées. Ce sont elles qui ont défini le caractère du programme, les revendications, les perspectives et les alternatives aux dysfonctionnements des institutions et du personnel politique, mais aussi à propos d’une société où des criminels comme Dutroux peuvent exister. Le nom Recht op Recht de notre comité blanc vient indirectement de la défection des intellectuels. Ce nom a par la suite donné lieu à une série télévisée populaire et à une organisation. Mais en 1996, période avec beaucoup de bruits et de rumeurs à prpos du renouveau politique il figurait dans le « Sinjael » de Norbert Debatselier et de Maurice Coppieters qui voulaient réaménager tout le paysage politique en Flandre. Coauteur du livre « Le Sinjael », le philosophe du droit, Koen Raes, a introduit le concept de « droit au droit ». C’était un beau slogan pour ouvrir l’accès aux droits aux moins nantis. Mais lorsque les moins nantis ont exigé ce droit à l’occasion de la marche blanche, Koen Raes a pris la défense de l’arrêt spaghetti. Cette prise de position manifestait le refus de soutenir le mouvement et constituait dans son essence la défense des institutions de l’Etat.

Tous ceux qui ne pouvaient prendre leurs distances à l’égard de la stabilité des institutions, pour des raisons idéologiques ou pour des raisons d’intérêt, n’ont pas été en mesure d’apprécier ce mouvement, sa culture particulière, sa couleur propre, ses noms et ses symboles, des formes d’organisations, le choix de ses mots, son absence de toute référence historique, son émotion, sa profondeur, etc. Pour certains, le silence de la marche blanche était la preuve que ce mouvement n’avait rien à dire ; pour d’autres, il y avait là la preuve que les parents avaient été récupérés par le gouvernement et la famille royale ; pour d’autres encore, les ballons blancs ne faisaient pas partie de leur culture ; d’autres enfin voyaient partout l’ombre de l’extrême droite ou du populisme. Et pourtant, entre l’arrêt spaghetti et le rapport de la commission Dutroux, un débat de société profond a eu lieu en Belgique, pour trouver les mots qui convenaient à la profondeur et à la nouveauté de l’action menée. A nous à le continuer au j’ourd’hui.

Raf Verbeke a travaillé de 1988 à 1999 à Carnoy (Gand), où il a été délégué syndical ; il est maintenant ouvrier à De Lijn (l’équivalent de la STIB ou di TEC en Flandre)