Premières impressions de Raoul Marc Jennar sur le sommet de l'OMC

Tanguy Henrion14 december 2005 – 17:38

Raoul Marc Jennar, chercheur auprès d'Oxfam Solidarité-Belgique et de l'unité de recherche, de formation et d'information sur la globalisation, nous livre, depuis Hong-Kong, ses premières impressions sur la conférence ministérielle de l'OMC.

Les gouvernements de 150 pays (l'Arabie Saoudite et les àŽles Tonga viennent d'être admis) vont donc débattre d'ici à dimanche, du texte de projet de déclaration ministérielle qui leur a été présenté par les instances dirigeantes de l'OMC.

Le chercheur retient deux points importants de la cérémonie d'ouverture:

Tout d'abord l'immense pression exercée d'emblée par les différents orateurs (qu'il s'agisse du chef de l'administration ou du ministre du commerce de Hong-Kong, de Mme Mohamed, ambassadrice du kenya et présidente du conseil général de l'OMC, de Pascal Lamy, directeur général de l'OMC ou encore de Mr Tsang qui préside la conférence) pour que les ministres présents parviennent à un accord, même si ils doivent pour cela accepter de faire des concessions. R.M. Jennar regrette qu'aucun de ces intervenants n'aient signalé que le document soumis à la négociation comporte une foule d'annexes (36 pages sur 48 pour la version française) dont seulement une a fait l'objet d'un accord entre les représentants des différents états membres de l'OMC à Genève. Une note introductive au projet de déclaration indiquait d'ailleurs ce point dans la version présentée aux ambassadeurs à Genève mais a disparu du document soumis aux ministres à Hong-Kong. Monsieur Lamy a même affirmé aux parlementaires que cette déclaration était soutenue par tous les états membres, omettant de signaler que c'est justement par ce qu'il contenait cette note introductive précisant les désaccords que ce consensus avait pu être atteint à Genève. Pour Jennar, il s'agit là d'un bel exemple de coup tordu de la part de Lamy.
Le second fait marquant de la cérémonie d'ouverture est la protestation exprimée par une délégation du réseau qui coordonne tous les mouvements altermondialistes. Une vingtaine de militants ont tenu à rappeler les injustices criminelles que provoquaient les accords de l'OMC. Quelques heures plus tôt, lors d'une conférence de presse des délégations de pays du Sud, Walden Bello, directeur de Focus on the Global South avait lui affirmé: « On est dans une situation où pas d'accords, c'est mieux qu'un mauvais accord ».

Notons que durant cette cérémonie, la deuxième des trois grandes manifestations anti-OMC prévues se déroulait tout à fait pacifiquement. Plusieurs milliers de personnes ont exprimer leur révolte par des cris, des calicots, des mimes et des chants.

Mr Jennar s'offusquait enfin de la manière dont les médias francophones traditionnels traitent cette conférence. Les seuls sujets abordés sont le dossier agricole et la violence redoutée des protestataires dont on ne dit rien ou presque des revendications. Seule la BBC explique les différents accords, les enjeux de société qu'ils représentent et les controverses qu'ils suscitent. Les chaînes francophones n'ont presque pas parler du dossier des services alors qu'il concerne aussi bien les peuples du Nord que du Sud. Selon le chercheur, traiter uniquement de l'agriculture permet de faire croire que tout est bloqué à cause d'une minorité de paysans. Minorité parmi les téléspectateurs bien entendu puisque les paysans représentent 62% de la population mondiale.
Quant aux manifestants, ils sont sans doute trop calmes pour faire la une, certains médias n'ont donc pas hésiter à rediffuser des images des moments violents de Seattle!

Vous pouvez lire aussi

Walter Mondialiste, 17/12/2005 – 09:52

Vous pouvez lire aussi notamment les nouvelles de Raoul Marc Jennar sur le site d'OXFAM Solidarité, le site d'ATTAC et Mondialisation.be,
Voici la nouvelle du vendredi 16 décembre
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16 décembre 2005

LES NOUVELLES DE HONG KONG (4)

par Raoul Marc JENNAR

chercheur

urfig@wanadoo.fr

« Le protectionnisme, c’est la guerre ! » clament les idéologues du libre-échange. Pourtant, c’est ici, à Hong Kong que le libre-échange a pris son envol contemporain. Et de la manière la plus violente qui soit : par la guerre d’agression. En 1839, sous la pression de la Compagnie des Indes Orientales (déjà le lobby patronal !), le gouvernement britannique déclare la guerre à la Chine au nom du libre commerce. La Chine en effet interdit l’importation d’opium et refuse d’intégrer ce poison dans le cadre de l’ouverture de son marché demandée par les Britanniques dans le cadre d’un accord sur les échanges commerciaux. Victorieuse dans cette « guerre de l’opium », la Grande-Bretagne s’installe à Hong Kong. Aujourd’hui, à Hong Kong, sous la pression du patronat européen, la Grande-Bretagne, qui préside l’Union européenne et bénéficie du soutien résolu des 25 gouvernements, entend imposer à la Chine et à 149 autres pays l’ouverture des marchés aux produits manufacturés et aux entreprises de services. L’Histoire a parfois de ces raccourcis …

Ce vendredi matin, les informations sur les consultations nocturnes (on ne peut toujours pas parler de négociations) n’ont guère apporté de neuf. Sur l’agriculture et sur l’accès au marché des produits manufacturés, on a isolé les questions qui divisent. On a retrouvé une constante : le lien établi entre les différents dossiers de ce marchandage qui n’a pas encore commencé. Ainsi par exemple, les pays en développement (PVD) n’acceptent d’ouvrir leur marché aux produits manufacturés euro-américains que dans une mesure identique à l’ouverture que UE et USA sont disposés à accorder aux produits agricoles des PVD.

Quant aux services, il se confirme qu’ils constituent le dossier central, celui sur lequel les gouvernements des pays riches, poussés fortement par les organisations patronales ici présentes, entendent obtenir dimanche un résultat à la mesure des attentes de leurs commanditaires.

On peut distinguer quatre positions sur le dossier des services :

- UE, USA et Japon qui estiment que l’Annexe C est insuffisante, qu’elle doit être améliorée par l’introduction d’indications chiffrées sur le nombre de services à libéraliser et sur l’ampleur de cette libéralisation. L’UE dispose d’ailleurs d’un document, approuvé par le Conseil européen des ministres, qui va très loin dans ce sens ;

- le Groupe des 90 qui a présenté des amendements à l’Annexe C pour restaurer la flexibilité permise dans l’AGCS. Ce G90 a été appuyé ce matin par un grand nombre de parlementaires africains qui ont présenté à la presse une déclaration qui précise les raisons de leur rejet de l’Annexe C. Ce texte, remarquablement argumenté, sera sur le site de l’URFIG (www.urfig.org – rubrique Hong Kong) dès que je disposerai d’une copie électronique ;

- le Brésil, qui accepte l’Annexe C à la condition d’obtenir satisfaction sur le dossier agricole ;

- l’Inde et le Chili qui acceptent l’Annexe C telle quelle.

Le patronat, très présent ici, commence à donner de la voix. Certains vont même jusqu’à remettre en cause l’utilité de l’OMC dès lors qu’elle s’occupe de développement.

L’après midi a été marquée par un évènement que les protagonistes ont qualifié eux-mêmes d’historique. Les porte-parole des différents groupes de pays (G20, G33, le groupe africain, les ACP, les PMA, les petites économies), soit au total 110 pays du Sud, ont annoncé que pour la première fois dans l’histoire de l’OMC, les ministres de ces pays avaient tenu une réunion commune et adopté une déclaration présentée lors d’une conférence de presse. Ils ont convenu de coordonner leurs efforts pour présenter une attitude commune sur les questions où ils ont un intérêt commun. Ils ont souligné que l’agriculture est centrale pour tous ces pays. Ensemble, les gouvernements de ces pays demandent :

- la fin des subventions aux exportations agricoles en 2010 ;

- la réduction substantielle des aides internes qui ont des effets sur la concurrence commerciale ;

- l’application du principe de traitement spécial et différencié dans les différents aspects de la négociation agricole ;

- l’octroi de quota free/duty free pour les produits en provenance des PMA avec un résultat concret à Hong Kong sur cette question ;

- un engagement ferme et précis à Hong Kong de régler la question du coton.

Comme à Cancun, la manifestation publique de ces groupes de pays a suscité les sarcasmes du personnel de l’OMC, des délégations occidentales et des journalistes au service du patronat. On brocarde les « G »…En faut-il du cynisme pour se moquer ainsi des faibles !

Au moment où j’écris ces lignes, il reste 40 heures pour conclure. D’une manière ou d’une autre. Signe des grandes difficultés rencontrées, la nouvelle version du projet de déclaration ministérielle n’a pas été présentée aujourd’hui comme annoncé hier. Elle est prévue maintenant pour demain midi. Les réactions qu’elle suscitera fourniront un indice sérieux sur le résultat final de cette conférence.

Un lecteur m’écrit pour me demander : que peut-on faire ?

Je ne néglige aucune occasion de souligner le rôle et donc la responsabilité de nos gouvernements dans ces négociations. Savoir cela est très important. Comprendre enfin que nos gouvernements exercent désormais une double fonction :

a) ils participent au niveau européen et au niveau de l’OMC à des décisions qui concernent notre vie quotidienne

b) ils exécutent ces décisions au niveau national.

Ce qui signifie que lorsque nous réagissons aux décisions que le gouvernement prend pour mettre en Å“uvre dans le pays ce qu’il a convenu au niveau européen ou au niveau de l’OMC, il est déjà trop tard. La citoyenneté exige désormais une vigilance en amont des décisions nationales qui ne sont plus que des transpositions de décisions supranationales ou internationales. Il faut s’organiser en conséquence. Investir l’Europe ; s’intéresser à l’OMC. Et exiger de nos élus qu’ils en fassent autant.

Mes efforts seront récompensés si j’ai réussi à démontrer la pertinence de ce qui précède. La narration de ce qui se passe à Hong Kong n’a pas d’autre but.

A demain.