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« Nous croyons en la démocratie. Mais nous voulons qu’elle soit concrète »

« Nous croyons en la démocratie. Mais nous voulons qu’elle soit concrète »

La Constitution de 1793 en son article 20 proclamait le droit d’asile, un des plus précieux apports de la Révolution française. Mais avec l’émergence des Etats-nations et du capitalisme, ce principe s’est très vite heurté à  une réalité beaucoup moins généreuse. Les égoïsmes nationaux ont très souvent pris le pas sur l’idéal d’universalité. Alors que dans les années 30, ces égoïsmes s’affichaient assez ouvertement, ils se masquent aujourd’hui derrière un discours de l’idéologie des droits de l’homme. D’où une hypocrisie d’Etat qui, tout comme les guerres impérialistes, ne fait qu’aggraver le discrédit qui pèse sur les idéaux démocratiques.

Foyer des Hayettes ( petites haches en dialecte régional ), rue Valère Mabille à  Morlanwelz, vendredi 10 février. Outre les deux responsables du Comité de soutien, le prêtre Jean-Marie Moreau et Freddy Bouchez, trois demandeurs d’asile du Centre ouvert ont accepté de venir témoigner : Jean-Philippe, originaire du Togo et arrivé en Belgique depuis un an et demi ; Kimba, du Niger, dans notre pays depuis 3 ans et dans l’incertitude complète ; une maman présente depuis plus d’un an et qui a préféré garder l’anonymat pour ses enfants. Sur la fenêtre derrière la table, on peut lire une affiche publiée suite à  l’affaire Sémira Adamu: « La question n’est pas : pouvons-nous accueillir toute la misère du monde. La question est : comment mettre fin au capitalisme qui tue et sème la misère ».

A l’occasion de l’article sur la manifestation du 21 janvier passé à  Morlanwelz, intitulé « Une carte d’identité plus complète », nous avions eu l’occasion d’expliquer en quel contexte le comité de soutien avait été créé. Le père Jean-Marie Moreau explique : « On est solidaires des demandeurs d’asile, du début jusqu’à  la fin. Jusqu’au retour au pays. On essaye d’accompagner, d’être présents pour les aider à  tenir le coup, et de faire avancer les lois. On est aussi fort attentifs aussi à  populariser le mouvement, qui je pense reçoit bon accueil. Enfin, on ne voit que des gens qui font bon accueil. Les autres, ils ne nous le disent pas ».

« Si je suis arrivé ici, ce n’est pas par plaisir ».

D’emblée, Jean-Philippe nous précise que « si je suis arrivé ici, ce n’est pas par plaisir ». Inutile de préciser qu’il en est de même pour les deux autres résidents du Centre. Il a en effet pris position contre Etienne Gnassingbe Eyadema, le défunt dictateur togolais, auquel a succédé son fils, Faure, entre-temps. « La république est en quelque sorte changée en monarchie chez nous. Nous avons une armée pléthorique chez nous, à  la solde d’un clan, le clan Eyadema. C’est une armée ethnique et non une armée républicaine. Pour un petit pays de 76 000 km2 et pour une population de moins de 5 millions d’habitants, on a plus d’hommes armés que de professeurs, d’enseignants,… Il suffisait de lever le petit doigt contre le régime pour vouloir s’exprimer, alors on a tous les problèmes du monde ». Il a ensuite fui pour échapper aux prisons, « des centres de torture », et en passant par le Ghana. N’oublions en effet pas que les pays pauvres sont ceux qui reçoivent le plus de réfugiés.

Jean-Marie Moreau évoque alors le fait qu’un autre réfugié togolais lui avait dit qu’il existait des réseaux de Togolais proches du régime en place qui se font passer pour des réfugiés politiques. Ils surveillent les réfugiés qui continuent à  militer dans l’opposition. Ces informateurs se recrutent dans la société la plus ancienne des immigrés. De façon plus générale, les chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest s’entendent entre eux pour mener une chasse aux opposants, un peu comme les militaires latino-américains au cours de l’opération Condor. Kimba : « L’Occident ferme les yeux sur une réalité qui est là  et que nous vivons » « Comme ce sont des pays qui ont signé des accords pour le respect des droits de l’homme, je dis que c’est du bidon ». Il déplore qu’on ne puisse forcer les pays signataires à  respecter concrètement leurs engagements. Nous ne pouvons nous empêcher de nous dire que si ces mécanismes existaient, le premier pays sanctionné serait les Etats-Unis, à  propos desquels il est désormais avéré qu’ils pratiquent des enlèvements sur de supposés militants islamistes dans des villes européennes et qu’ils ont ouvert des prisons secrètes au moins en Ouzbékistan. De toute façon, comme le souligne la maman, « ces dirigeants sont soutenus par les Occidentaux ». Pensons au réseau néocolonial français en Afrique de l’Ouest et aux dirigeants appuyés par l’Angleterre et les USA.

Des procédures humiliantes et destructrices.

Kimba nous explique : « Nous venons ici en pensant que nous sommes dans un pays où le droit existe et dans ce pays de droit, imaginez quelqu’un comme moi qui fait dans un centre d’accueil trois ans dans l’incertitude complète quant à  mon sort. Pour certains, c’est même quatre ou cinq ans. Ce qui est aberrant, choquant, c’est qu’au bout d’un certain temps écoulé, on vous dit un beau jour de sortir par la petite porte ». Il évoque le cas de ces familles entières dans l’incertitude au centre, dont le père « a pété les plombs et dont la mère souffre et risque de se retrouver aussi en asile psychiatrique ». L’inhumanité des procédures est humiliante et même destructrice pour les demandeurs d’asile. Il parle alors des convocations à  l’Office des Etrangers. « On vous fait réveiller du centre à  cinq heures du matin. A cinq heures quarante-cinq, il faut se rendre jusque la gare. D’ici, il faut aller à  la gare du Nord. L’Office s’ouvre à  huit heures. A cette heure-là , c’est toute une queue. Souvent, on vous fait attendre jusqu’à  18 heures. On vous dit : ‘Monsieur, veuillez revenir demain’. Il y a des cas où la personne est repoussée jusqu’à  quatre ou cinq fois. Moi, j’ai connu quelqu’un qui attendait sa première audition depuis huit mois et la finalité était qu’il était irrecevable ». Il voit dans cette manière de faire une tentative de tapage médiatique afin de renforcer les sentiments xénophobes. Toujours est-il que cette inhumanité a eu des effets dévastateurs sur lui, car il fume près de cinq paquets de cigarettes par semaine et souffre d’insomnie chronique. Le plus dur reste ce sentiment d’incertitude, combiné à  celui d’être déboussolé.

La maman nous explique le cas d’une famille installée au centre et confrontée aux procédures depuis six ans. Ils vivaient auparavant dans un appartement à  Liège et leur petite-fille avait commencé à  parler. Mais, la réponse à  leur demande ayant été négative, ils ont été mis à  la rue. Ils ont dû chercher un centre et ont été dispatchés à  Morlanwelz, « un centre ouvert, mais qu’on dirait fermé ». Suite à  cela, la petite fille s’est recroquevillée et son équilibre psychique est compromis. « C’est un cas que nous avons vu, mais il y en a tant d’autres ». Freddy Bouchez souligne les conditions de vie difficiles dans le Centre, où des familles entières vivent dans la promiscuité d’une seule pièce. « On dirait, nous explique la maman, que l’Office des Etrangers a une mission qui est de repousser un demandeur d’asile. On dirait qu’ils ne comprennent pas ce qui a trait à  la convention de Genève ».

Soulignons que cette inhumanité s’étend à  l’ensemble des rouages de la société auxquels les demandeurs d’asile se trouvent confrontés. Comme l’explique Freddy Bouchez, « «j’ai travaillé dans une entreprise de formation par le travail dans le domaine du bâtiment. On ne pouvait pas inscrire légalement en formation des gens qui n’étaient pas recevables. La loi interdit de les inscrire tant qu’ils n’ont pas la recevabilité. La formation dépend de la Région wallonne et chaque fois qu’on émettait la demande, systématiquement c’était refusé ». Cette obligation s’applique aussi aux gens qui veulent faire des stages. Il ajoute qu’il avait connu une personne de nationalité congolaise qui « avait droit à  l’aide du CPAS. Mais elle a eu un refus. Elle avait un logement et du jour au lendemain, le CPAS lui a retiré toute aide. Il avait le Revenu d’Intégration et du jour au lendemain, tout était fini. On se demande après comment cette personne va payer son loyer, se nourrir, se vêtir. Le CPAS du jour au lendemain arrête son aide et c’est comme si la personne n’existait plus. Il ne lui dit même pas qu’il y a des organisations qui pourraient lui venir en aide ».

L’administration de la preuve.

Atterrit le sujet de la preuve, principal prétexte de refus des demandes. Cette exigence est profondément aberrante. Lors des entretiens, c’est la méfiance qui domine. « Tout ce que tu racontes, on te dit que tu mens. On te dit que tu n’as pas de preuve ». Le tout dans une tentative d’établir des distinctions, totalement arbitraires, entre « vrai » et « faux » réfugiés. Des distinctions que l’on tentait déjà  d’établir dans les années 30 face aux juifs allemands et autrichiens et dans les années 50 face aux Espagnols antifranquistes, et dont on reconnaît qu’elles ne se fondaient sur aucun critère rigoureux, mais qu’elles laissaient libre cours à  l’arbitraire policier et bureaucratique. Hier comme aujourd’hui. La maman : « Imaginez, par exemple, une femme qui a été emprisonnée et qui a été violée par des gardiens de prisons. Pensez-vous qu’elle va pouvoir apporter une preuve de cela ? ». Elle évoque le cas d’une femme à  qui les gens de l’Office ont demandé de dessiner la prison alors que le lieu où elle avait été enfermée n’était pas éclairé. « Si quelqu’un s’introduit chez vous avec une arme, en Afrique, on a pas de caméra cachée, pas d’enregistreur. Si je suis en train de discuter avec mon agresseur, je ne sais pas enregistrer cette conversation. Je n’ai pas de caméra cachée pour démontrer qu’il avait un couteau ou une arme sur moi. Et on vous demande de prouver cela. On sait pas prouver cela. On ne sait pas donner de preuve. Montrer que tu as été menacé jusqu’à  la mort, ce n’est pas palpable ». Lorsqu’elle avait été interrogée au CGRA, elle avait rétorqué à  la fonctionnaire : « Madame, vous voulez des preuves probables pour mes problèmes. Mais attendre d’avoir une preuve, c’est mourir. Un cadavre n’est jamais venu à  l’Office des Etrangers demander l’asile ».

Droit d’asile et rapports Nord-Sud.

Le nombre de demandeurs d’asile en 2005 s’est élevé à  15 957, dont un tiers des pays africains et un peu plus de 2000 pour les pays du Moyen-Orient. La majorité provient de pays extra-européens. Ajoutons que plus 4500 proviennent de pays de l’ex-bloc soviétique, ce qui montre que l’extension du capitalisme a eu pour le moins des côtés négatifs. Sur ce total, près de 90 % ne recevra pas de recevabilité. Le pourcentage moyen de demandeurs qui bénéficieront de l’asile oscillera entre 1 et 3. De tels scores auraient ravi les ministres de l’Intérieur des années 30. Le travail de clôture visant à  séparer « nous » et « eux » se fait désormais aussi au niveau européen, comme en témoignent les accords de Schengen. Ce travail de clôture est en outre visible dans un discours politique – très cher aux partis d’extrême-droite – axé sur la « différence culturelle », supposée être un obstacle existentiel à  l’intégration. Un discours qui essaime dans d’autres partis. Mais depuis que les droits de l’homme ont pris le rôle d’idéologie officielle, il n’est plus étalé au grand jour. Il se fait dans l’univers feutré de bureaucraties au pouvoir arbitraire étendu, qui remplissent les besognes qui déplaisent aux politiques. D’où une hypocrisie d’Etat qui dessert les idéaux démocratiques. Des idéaux proclamés sur fond de guerres impérialistes et d’ écarts abyssaux entre pays pauvres et pays riches. Comme le disait Kimba, « j’ y crois en la démocratie, mais je veux qu’elle soit concrète ». Le droit d’asile doit être repensé dans le cadre d’une redéfinition globale de nos rapports avec les pays du Sud. Mais il alors faudrait prendre un autre cap.